jeudi 30 mai 2013

Recours aux ordonnances dans le bâtiment : la mesure contestable incontestée

La loi de recours sur les ordonnances dans le bâtiment, une mesure contestable mais peu contestée (crédit : Le Nouvel Obs)
Mesure spectaculaire annoncée en mars dernier pour sortir le secteur du bâtiment de la crise, la loi de recours aux ordonnances, portée par Cécile Duflot, Ministre du Logement, et la député PS Annick Lepetit, a bénéficié d'un large consensus. En réalité, il a fallu attendre le débat parlementaire pour voir apparaître publiquement les premiers points de dissension, ou du moins quelques critiques, émanant principalement de l'opposition. Sur le banc des accusés : l'efficacité d'une telle mesure et l'arrière-plan idéologique.

Le projet de loi de recours aux ordonnances dans le cadre du bâtiment est une des pièces majeures du plan logement, le dispositif mis en place par le gouvernement pour sortir le secteur du BTP du marasme économique. La loi, votée dans la soirée du 21 mai dernier par l'Assemblée nationale, met en place huit mesures d'urgence destinées à éliminer les freins aux projets de construction de logements : elle permet de prendre des ordonnances pour faciliter la tranformation de bureaux en logements, limiter les contraintes en matière de stationnement, favoriser la surélévation d'immeubles, raccourcir les délais ou encore de lutter contre les recours mafieux. Bien évidemment, les organisations professionnelles, à l'image de la FFB comme de la CAPEB, saluent là un "texte pragmatique".

Une mesure efficace ?

Une mesure pragmatique ? Le doute s'installe lorsque Annick Lepetit, rapporteur du texte à l'Assemblée, en dévoile l'enjeu réel : "pour atteindre l'objectif de 500 000 logements par an, il faut faire sauter des verrous qui ne se justifient plus". Pourtant, elle ne chiffre qu'à 30 000 les recours abusifs qui bloqueraient des projets de construction, bien loin de combler les 250 000 logements manquants de cette barre mytho-keynesianiste, si peu pragmatique, des 500 000. Un doute partagé par André Chassaigne, député Front de Gauche, qui résume : "Il nous semble illusoire de laisser penser que le déficit des logements seraient lié à des blocages administratifs ou juridiques [...] C'est là une vision réductrice, à laquelle nous ne souscrivons pas".

Le problème réside dans le choix de la méthode. Or le recours aux ordonnances tient plus de la coercition que de l'incitation. Or pour mettre en oeuvre la transformation des cinq millions de mètres carrés de bureaux vacants sur l'ensemble du territoire français, dont 3,5 millions en région parisienne, seul un plan incitatif peut amener les entreprises de BTP et les promoteurs immobiliers à faire les invetissements nécessaires et conséquents. C'est pourquoi l'UDI s'est également abstenue de voter le projet de loi, lui préférant une baisse de la TVA dans le bâtiment, mesure "impossible" pour Annick Lepetit.

L'autoritarisme de la crise

Le recours aux ordonnances n'est en effet pas une mesure anodine dans le contexte politique et économique. Elle permet au gouvernement de légiférer sans passer, dans une moindre mesure par le Parlement, afin d'accélérer le processus législatif. Comme le souligne le député UMP Lionel Tardy, la méthode des ordonnances entraîne de fait un "désaisissement" du Parlement. Jacques Bompart, député FN, va même plus loin en réclamant "l'abandon pur et simple de cette méthode de gouvernement qui fait la part belle à l'arbitraire". Ce que reconnaissait d'ailleurs Cécile Duflot en préambule de son discours à l'Assemblée : "j'ai bien conscience, en prenant la parole devant vous que le mot ordonnances n'est pas le mot préféré des parlementaires". Des propos que l'on peut interprèter ainsi : face à l'urgence de la crise, il faut savoir prendre des mesures exceptionnelles.

Le recours aux ordonnances s'inscrit également dans la dynamique du "choc de simplification" et pose les mêmes problèmes, à savoir que les recours sont des moyens aussi pour les citoyens de s'opposer à des projets pouvant leur nuire parfois de manière directe, à l'image des controverses sur les projets Nouvel pour l'île Seguin. Il y a quelques choses de paradoxale à imaginer que Cécile Duflot, égérie d'Europe Ecologie Les Verts, puisse porter une loi favorable aux industriels dont les projets seraient bloqués par des mouvements écologistes, au nom d'une forme de raison d'Etat, la raison du bâtiment.

Signe que les choses demeurent confuses, François-Michel Lambert, député EELV, lui,  rêve que ce texte soit "le fondement d'une société en transition écologique". Certes, le recours aux ordonnances ne sont qu'une mesure emblématique du projet de relance de logements, mais il reste révélateur de la confusion de pensée de nos dirigeants, abonnés aux mesures "rustine" qui pourrait provoquer au finale plus de maux que de biens. En bref, des dérives de l'absence de pensée stratégique et durable.

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