jeudi 6 juin 2013

La crise du BTP espagnol : un danger pour le secteur du bâtiment en France ?

La crise du BTP espagnol va-t-elle contaminer la France ? (crédit : Le Grand Journal)
Qui se souvient de ce sketch de Groland, qui, saluant le dynamisme de l'Espagne des années 2000, la surnommait la France heureuse ? A l'époque, la saillie était brutale, tant le "miracle" espagnole ne cessait d'étonner une Europe de l'Ouest au ralenti. Mais voilà, la crise financière de 2008 est passée par là et a replongé l'Espagne dans ses affres économiques. Et loin d'être épargné par la récession et le chômage, le secteur du bâtiment en constitue même un facteur aggravant. Les proportions de la crise sont telles que le BTP en France, en berne lui aussi, s'inquiète d'une contamination qui pourrait l'affecter Pour autant, les situations ne sont pas vraiment comparables.

Dans les années 2000, l'Espagne du BTP faisait rêver l'Europe entière : 86 % de propriétaires en 2005, 5,5 millions de logements construits entre 1997 et 2006, le secteur du bâtiment ibérique fournissait 17,9 % du PIB espagnol. Mais en 2013, le constat est tout autre : l'explosion de la bulle immobilière en 2008 a entraîné la disparition de 160 000 entreprises de BTP, pour 500 emplois supprimés par jour entre 2010 à 2012 et près de 3,4 millions de logements vacants ! Comment le miracle espagnol en est-il arrivé à ce marasme économique et sociale ? Une situation qui n'en finit pas d'inquiéter le secteur du bâtiment en France.

Un marché immobilier espagnol de propriétaires

Une analyse comparative succincte montre pourtant que la situation du BTP espagnol est très éloignée de celle du bâtiment en France, pour des raisons historiques et conjoncturelles. En Espagne, la structure du marché immobilier est dominée majoritairement par le marché d'achats. Il s'agit d'un héritage direct du vieux mythe franquiste et anti-communiste de l'accession à la propriété, devenu réalité grâce au boom économique dû à la libéralisation économique et l'ouverture des frontières. Ce boom économique est d'ailleurs à l'origine d'une intense spéculation immobilière, plaçant le pays dans une dépendance économique considérable vis-à-vis du secteur du bâtiment. Ainsi, ce dernier représentait à lui seul 17,9 % du PIB espagnol en 2006. De fait, 5,5 millions de logements ont été construits en 6 ans, alors que seulement 3,5 millions de nouveaux ménages espagnols se sont constitués.

De plus, l'accès à la propriété était facilité par la promotion massive de prêt à taux variables, dont ont profité de nombreux ménages. En effet, l'endettement immobilier comptait pour 540 milliards € en 2007, soit 70 % du PIB espagnol, et le taux d'endettement des ménages a ainsi progressé de 18,5 % de 2006 à 2007. Une situation particulièrement inquiétante lorsque l'on réalise qu'un foyer sur quatre devait ainsi rembourser un prêt immobilier, dont 98 % sont des prêts à taux variables. Pour résumer, l'Espagne était assise sur une bombe dont le détonateur a été la crise financière de 2008.

Un désastre économique et social unique

Cette dernière a entraîné une hausse brutale des taux d'intérêts, empêchant les ménages endettés de rembourser leurs emprunts immobiliers. De fait, la bulle financière a explosé, générant la disparition de 160 000 entreprises et de 500 emplois par jour dans le secteur entre 2010 et 2012. L'activité du secteur a considérablement ralenti, ne comptant plus que pour 8,3 % du PIB espagnol. Mais le marasme économique a eu de graves conséquences sociales, propres à l'Espagne. D'une part, la hausse brutale des taux d'intérêts variables a provoqué l'impossibilité pour les ménages de rembourser leurs emprunts, d'où un grande nombre d'expulsions mais surtout d'hypothèques.

Mais surtout, la structure même du marché immobilier espagnol, dont seulement 11 % relève du marché locatif, a créé une pénurie de logements alors même qu'il en existe 3,4 millions de vacants. Dans l'incapacité d'accéder à la propriété, les ménages les plus modestes, les jeunes ou les chômeurs de longues durées ne peuvent obtenir d'habitation, en raison du manque de logements locatifs ! Un drame à l'origine, avec le fort taux de chômage des jeunes, du mouvement des Indignés, qui a occupé pendant plusieurs mois la Puerta del Sol, et continue d'organiser des dispositifs de logements alternatifs (squat, marché locatif au noir, sous-location, etc.).

Des conséquences très limitées sur la France

Alors peut-on craindre une contagion ? Si le niveau d'endettement des Français et les prix du marché immobilier se sont considérablement accrus ces dernières années, ils restent bien en dessous des indicateurs extrêmes espagnols. C'est plutôt le ralentissement générale de l'activité, ainsi que la hausse des impositions et  des taxes, qui génèrent une crise toutefois limitée en comparaison du marasme ibérique. De même, la structure du marché de l'immobilier, où marché d'achats et marché locatif sont équilibrés, et les comportements des Français, très tournés vers l'épargne, en limitent les conséquences.

En réalité, la principale conséquence de la crise du BTP espagnol sur la France est la migration des sociétés de BTP ibériques vers le marché français. Faute d'activité dans la péninsule, les sociétés les plus solides concurrencent les entreprises locales, grâce à des prix largement inférieurs, y compris sur les marchés publics, obtenus grâce à une forme de dumping social. Cependant, si ce phénomène préocccupe, à raison, de plus en plus les associations professionnels, FFB et CAPEB en tête, il se limite toutefois à certaines régions du sud-ouest et conserve des conséquences limitées, qu'il s'agit toutefois d'endiguer, comme nous l'expliquions déjà dans Bâti 2030. Alors, pour une fois que l'herbe est un plus verte chez soi...

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