jeudi 30 janvier 2014

Les isolants biosourcés à l'épreuve du scepticisme

Quelques exemples d'isolants biosourcés (crédit : Eco-logis.com)
En avril dernier, nous établissions sur Bâti 2030 une analogie entre les isolants "naturels" (laine animale, chanvre, coton...) et les biocarburants, critiquant notamment les problèmes écologiques que posaient ces matériaux. Cependant, force est de reconnaître que ces nouveaux produits (ou "anciens" remis au goût du jour) progressent autant dans les esprits qu'en performance ! A tel point que des acteurs industriels majeurs du marché de l'isolation, comme Isover, développent des gammes de produits biosourcés. De leurs côtés, les fabricants spécialisés se structurent et développent une communication habile pour proposer aux particuliers comme aux promoteurs des solutions efficaces et éprouvées. Des stratégies suffisantes pour vaincre le scepticisme à l'égard des isolants biosourcés ?

Depuis leur arrivée sur le marché, les isolants "naturels", ou biosourcés, d'origine végétale (ouate de cellulose, bois, lin, liège, coton, chanvre, fibre de coco) ou animale (laine de mouton, plume de canard ou d'oie) ont toujours souffert d'un déficit de reconnaissance vis-à-vis des matériaux traditionnels comme les laines minérales, le polystyrène (expansé ou extrudé) ou le polyuréthane (PUR). Pour les uns, ils ne sont pas efficaces. Pour les autres, ils sont trop chers. Et pour les derniers, ils seraient tout simplement "réservés à une clientèle de bobo".

Des industriels et des fabricants spécialisés

Seraient-ils donc devenus fous, chez Isover, en débarquant sur le marché des isolants naturels ? En effet, la filiale de St-Gobain n'est pas vraiment du genre à se lancer dans des paris aussi hasardeux. Pourtant, elle a sorti en octobre dernier Isoduo, un panneau isolant composé à 50% de fibres de bois, à 40% de laine de verre et à 10% d'additifs et liants. Le calcul n'est pas anodin. D'une part, le segment des isolants biosourcés est de plus en plus mûr. D'autre part, les leaders traditionnels du marché de l'isolation s'y intéressent afin de protéger absolument leurs parts de marché.

Car les enjeux du marché de la performance énergétique sont de plus en plus importants. Selon l'enquête "Qualité énergétique", il a généré, en 2011, 33 milliards d'euros de chiffre d'affaires ! Et ce, alors même que la RT 2012 ne concernait que les bâtiments publics ! Selon une autre étude, le marché de l'isolation extérieure, qui représentait 6,7 millions mètres carrés en 2009, en serait à 19,8 millions en 2013. Il ne faut donc pas s'étonner de l'arrivée de nouveaux entrants dans le secteur, là où les spécialistes de l'isolation naturelle ont vu leurs parts de marché progresser de 0,1-0,5% en 2000-2005, 5% en 2011 à près de 10% en 2013 ! Dans un contexte de crise du BTP, la performance des acteurs de l'isolation végétale est loin d'être anecdotique.

La stratégie des isolants "naturels"

Conscients des ces évolutions, les spécialistes de l'isolation naturelle ont cherché à s'organiser afin de gagner de nouvelles parts de marché mais aussi pour se protéger de la prédation économique des acteurs historiques (comme dans les cas de la ouate de cellulose ou des isolants fins multicouches). Dans un premier temps, ils ont créé en 2009 une association professionnelle de représentation : l'Association Syndicale des Industriels de l'Isolation Végétale (ASIV). Cette dernière regroupe six industriels (Buitex, Cavac Biomatérieux, Homatherm, Le Relais, Pavatex et Steico) et a pour rôle de défendre les intérêts des isolants végétaux auprès des instances certificatrices et de réglementation comme l'Association de CERtification des Matériaux Isolants (ACERMI). Elle administre également un portail d'information, Votreisolation.com, afin de changer les perceptions de l'opinion publique sur les solutions d'isolation biosourcées.

Certaines entreprises ont également choisi de se regrouper par filière, comme la filière "bois" ou encore la filière "paille". Cette dernière a créé en 2012 le Réseau Français de la Construction Paille (RFCP), dont le rôle est d'informer l'opinion publique, mais également les organismes étatiques et les entreprises de BTP qui peuvent être concernés par la construction paille. Cette initiative a notamment permis de mettre en place des projets de construction HLM en structure bois et isolation paille, soutenus par le Ministère de l'agriculture. Cet exemple montre également que les solutions d'isolation végétale ne se limitent plus aux seules constructions individuelles.

Ce soutien de l'Etat s'est aussi traduit en 2012 par la création d'un label dédié : le label "Bâtiment biosourcé". Contrôlée par le Cerqual, l'organisme certificateur de l'association Qualitel pour les bâtiments collectifs, et le Cequami pour les maisons individuelles, cette certification vise à faciliter la pénétration des matériaux biosourcés, d'origine végétale ou animale, dans la construction, et stimuler ainsi les filières. Pour un bâtiment de 100 mètres carrés (m2), il faut donc au minimum deux types de matériaux biosourcés, réalisant chacun au moins une fonction différente (structure, isolation, bardage, etc.), et représentant 42kg/m2 pour le niveau 1 de certification, 63 kg/m2 pour le niveau 2 et 84 kg/m2 pour le niveau 3. Il faut le reconnaître, cette certification paraît extrêmement compliquée à obtenir, d'où l'absence de demande au 6 novembre 2013.

Les isolants biosourcés tiennent-ils la comparaison ?

Si le label "Bâtiment biosourcé" n'a pas encore convaincu, c'est probablement parce que les produits biosourcés continuent de faire face à un certain scepticisme. Malgré des efforts et progrès réels, les produits d'isolation naturelle ne sont pas encore aussi performants que certaines solutions traditionnelles. Si l'on en croit divers tableaux de comparaison, seuls le lin et la laine de mouton concurrencent le polyuréthane et le polystyrène expansé extrudé sur le plan de l'isolation thermique. Et sur la question de la protection incendie, aucun matériau naturel n'est classé au-delà de "E", quand les laines minérales sont classifiées "A1", c'est-à-dire au meilleur niveau. Or, ce dernier critère est généralement avancé quand on parle des diverses familles d'isolants, façonnant ainsi les perceptions des particuliers et des promoteurs. Son importance est grande, sans rapport d'ailleurs avec les risques réels d'incendie.

Ainsi, avec 4% d'opinions favorables, le développement de produits d'isolation ou d'enduits naturels et écologiques n'arrive en 2013 qu'à la 7ème position des préoccupations des professionnels du secteur de l'isolation. Cela signifie que la demande reste encore marginale, malgré une progression certaine des performances des produits naturels, dont l'argument principal reste la dimension sanitaire (dans une mesure contestable et contestée).

Si l'on fait abstraction de la communication malhabile et passablement mensongère sur le caractère "naturel" et respectueux de l'environnement de ces produits (pour une critique du concept "biosourcé", voir notre article d'avril 2013), ils n'en demeurent pas moins que les isolants d'origine végétale et animale ont une place de plus en plus importante sur le marché. Et gageons qu'avec des spécialistes qui continuent de se structurer, de nouveaux entrants d'envergure internationale comme Isover, et des produits dont les performances sont en constante amélioration, les isolants biosourcés seront à même de vaincre à court terme les dernières réticences.

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