jeudi 17 avril 2014

Le traitement des déchets du BTP, une impérieuse opportunité ?

Le traitement des déchets du BTP, un vrai enjeu pour les années à venir (crédit : Groupe Moniteur)
Il y a un peu plus d'un mois, le PDG de Veolia, Antoine Frérot, présentait à Arnaud Montebourg, ex-ministre du Redressement productif, les cinq thèmes principaux du plan "Recyclage et matériaux verts" lancé dans le cadre de la Nouvelle France industrielle. L'un d'entre eux est entièrement consacré au recyclage des déchets du BTP, aujourd'hui au centre des préoccupations. Car face aux enjeux et impératifs financiers, environnementaux et sanitaires, il est urgent de faire du traitement des déchets une priorité de l'action de l'Etat et de tous les acteurs du secteur de la construction. Paradoxalement, des solutions innovantes, suivant le principe de la valorisation des déchets, émergent pour faire de la question une véritable opportunité pour diminuer notre consommation de ressources.

La problématique de la gestion des déchets du BTP est loin d'être anecdotique. Selon une étude de l'ADEME datant de 2008, le part du BTP dans la production totale française de déchets était de 40%, soit environ 360 millions de tonnes. A titre de comparaison, l'agriculture et la sylviculture en représentent 43%, et la consommation des ménages 4%, soit 28 millions de tonnes. Mais si l'on considère les seuls déchets inertes, la part de la production du BTP s'élève à 90% ! Ainsi, 93% de ces déchets sont issus de la seule activité de démolition, et seulement 7% de la construction elle-même. Le compteur en temps réel du Planetoscope est en ce sens éloquent : depuis le 1er janvier (au 16 avril 2014 à 11h30), la production de déchets issus du BTP était de 98,2 milliards de kilos en seulement quatre mois !

Avec 85 % de la production de déchets du BTP en France, les travaux publics sont les principaux responsables de ce phénomène, alors que le secteur du bâtiment, à proprement parler, compte lui pour 15%, soit 38,2 millions de tonnes en 2008. Sur ce tonnage, 7% proviennent du neuf, 28% de la réhabilitation/rénovation et 65% de la démolition. Autre distinction qui a son importance si l'on considère le traitement des déchets : 72,4% d'entre eux sont considérés comme inertes (c'est-à-dire ne subissant aucune modification physique avec le temps), 26,1% comme déchets industriels banals (DIB : déchets assimilés aux déchets ménagers) et 1,5% sont classés comme dangereux (déchets présentant des risques pour la sécurité, la santé et l'environnement (hors nucléaire).

Des enjeux financiers, environnementaux et sanitaires

La question du traitement des déchets dans le BTP pèse autant sur le plan financier que sanitaire. Selon une estimation de 1999 de la FFB, le coût du traitement des déchets était évalué à 2,54 milliards d'euros par an, soit 3,5% du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment (hors transport et location de bennes). Or, le seul tri permettrait une économie de 1,23 milliard d'euros. Si on ajoute 30% de recyclage, le coût du traitement des déchets ne serait plus que de 1,27 milliard d'euros. Le recyclage des déchets du bâtiment est d'ailleurs, selon le Ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, de moins de 50% (estimation particulièrement optimiste au demeurant). Certains produits nécessitent même des traitements spécifiques du fait de leur dangerosité. Pour l'amiante, le coût du traitement (destruction finale par vitrification) est ainsi de 1 500 euros par tonne (contre 150 euros pour le seul stockage). Or, chaque année, 7 000 tonnes de déchets d'amiante sont traitées, alors que l'estimation totale des déchets présents en France est de 200 000 tonnes d'amiantes non liées (la forme la plus dangereuse) et 20 millions de tonnes de fibrociments. Des chiffres vertigineux !

D'autre part, si l'impact environnemental apparaît évident, tant les décharges illégales sont nombreuses dans certaines régions de France mal équipées en déchetterie et autres dispositifs de traitement, la dimension sanitaire du traitement des déchets est considérable en qui concerne les artisans et les ouvriers du BTP. Très contraignantes pour certains matériaux, comme l'amiante pour ne pas le citer, les réglementations en ignorent parfois d'autres tout aussi inquiétants, à l'instar des formaldéhydes, un produit cancérogène présent dans les panneaux de bois et la laine de roche, qui diffusent des COV en permanence tout au long du cycle de vie. Quid également des matériaux anciennement considérés comme cancérogènes, et reclassés ensuite ? C'est le cas notamment de la laine de roche, qui n'a plus été considérée comme cancérogène à partir de 1997, suite à une modification de sa composition chimique qui a permis de diminuer la biopersistance des fibres. Or, bien souvent, les artisans ne prennent aucune des précautions élémentaires faute d'information, lorsqu'ils sont amenés dans le cadre d'une rénovation à manipuler des pans de laine de roche antérieur à ce reclassement.

Quelles solutions ?

Pendant longtemps, la question du traitement des déchets du BTP est restée en marge des préoccupations de l'Etat, comme le montre la propension de la pègre à s'intéresser à cette activité. Mais depuis le Grenelle de l'environnement, cette problématique est devenue centrale. Un grand Plan national de prévention des déchets a ainsi été lancé fin 2013 sur la période 2014-2015. En ce qui concerne spécifiquement le BTP, une première initiative de sensibilisation des maîtres d'ouvrage doit être mise en place par l'ADEME en 2015, alors que le gouvernement prévoit la négociation en 2014, avec des organisations telles que le MEDEF, la CGPME, la FFB ou encore la FNTP, d'une charte d'engagement, dont le bilan sera fait en 2017. Le CSTB aura aussi comme charge d'étudier les freins juridiques et réglementaires empêchant le réemploi de certains matériaux anciens.

L'autre axe choisi par le gouvernement concerne le recyclage, ou plutôt ce qui est appelé "la filière de valorisation des déchets". Le principe n'est pas nouveau en soi. Dès l'Antiquité, les maîtres d'oeuvres faisaient piller les constructions les plus anciennes pour récupérer les pierres nécessaires à l'édification des nouveaux bâtiments. Le Plan recyclage et matériaux verts, dont la feuille de route doit être présentée à la fin du mois d'avril, fait ainsi de la valorisation des déchets l'axe majeur de sa politique de recyclage, un principe déjà présent dans la Directive cadre 2008/98/EC, qui favorise le réemploi et fixe un objectif de valorisation de 70%  pour les déchets non dangereux du BTP. Les projets qui vont dans ce sens commencent d'ailleurs à se multiplier. Le Siredom (Syndicat Intercommunal pour la Revalorisation et l’Elimination des Déchets et Ordures Ménagères), deuxième syndicat de traitement des déchets de France, vient de lancer une nouvelle filière de valorisation du plâtre en Seine-et-Marne et en Essonne, un produit compliqué à recycler et qui demande des précautions spécifiques. Toutefois, certains matériaux, notamment dans l'isolation, ne permettent pas un recyclage ni une quelconque valorisation. Or, les fabricants abusent parfois de cet argument, typique du greenwashing, alors qu'à aucun moment le produit n'est pensé pour intégrer la question du recyclage dans son cycle de vie.

Une opportunité pour faire des profits et innover

Le développement de la valorisation des déchets, plus que le recyclage, entraîne des conséquences assez inattendues aux yeux des profanes. Le 6 février dernier, la société Recovering, spécialisée dans la question du recyclage, et le cabinet d'avocats Enckell ont ainsi organisé une formation portant sur l'opportunité qu'offrent les déchets du BTP pour fournir une nouvelle ressource en matériaux de construction. De nuisances à éliminer, les déchets deviennent ainsi indispensables dans un contexte de raréfaction des ressources. Pour Jean-Yves Burgy, gérant de Recovering, "la gestion des déchets, en particulier ceux de chantier entrent dans une nouvelle ère".

Cette nouvelle ère se traduit par l'augmentation conséquente des financements destinés à la valorisation de déchets. Le 26 mars dernier, la Banque européenne d'investissements (BEI) a ainsi débloqué 250 millions d'euros pour financer la recherche et les initiatives liées au développement de la biomasse (déchets verts) et de la valorisation des déchets. Ces moyens peuvent ainsi aboutir à des innovations, comme le béton destiné au mobilier urbain produit par Sita, une filiale de Suez-Environnement, dont la particularité est d'être fabriqué à partir de granulats et de déchets recyclés. Comme souvent lorsqu'elle est confrontée à de fortes contraintes, l'humanité parvient à en faire une dynamique. Face aux enjeux du traitement des déchets, le secteur du BTP est en passe d'en faire une opportunité.

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