vendredi 4 avril 2014

Pronostic vital engagé pour le Diagnostic de Performance Energétique ?

Imagerie thermique et Diagnostique de Performance Energétique (crédit : Clamart.fr)
Entré en vigueur en 2007, le Diagnostic de Performance Energétique, le fameux DPE, se voulait un outil à la fois pédagogique et contraignant pour inciter les propriétaires et les bailleurs à se lancer dans l'aventure de la rénovation énergétique. Mais depuis ses débuts, et malgré la réforme de 2012, le DPE peine toujours à convaincre. Les critiques sont nombreuses : opérateurs incompétents, évaluations aléatoires, voire farfelues, absence de contrôles, etc. Pour certains observateurs avisés, il est même devenu l'objet d'un lobbying intense pour promouvoir certains types d'énergies au détriment des concurrents. Bref, alors que les efforts pour la promotion de l'efficacité énergétique s'intensifient, un de ces outils principaux voit son pronostic vital engagé : remède à trouver d'urgence !

Le DPE, à ses débuts, avait pourtant tout de la bonne idée : il s'agissait de responsabiliser les propriétaires et les bailleurs en informant les acheteurs et les locataires des performances énergétiques de leur futur logement. A partir de quatre critères - consommation annuelle d'énergie en kWh et en euros, positionnement en consommation d'énergie/m2/an, en émission de gaz à effet de serre (GES)/m2/an et état des lieux des données clés (isolation, équipements, constitution des murs, de la toiture, des fenêtres, chaudière, etc.) - le DPE établit un classement des logements, sur une échelle allant de A (la meilleure note) à G. Valide pour une période de 10 ans, il offre également des recommandations pour améliorer les performances de l'habitation.

L'intérêt du DPE est multiple. Rendu obligatoire (l'étude doit être obligatoirement réalisée par un opérateur certifié, équipé d'un logiciel réglementé, et intégrée dans un dossier de vente ou de location appelé "dossier de diagnostic technique immobilier"), il permet à un acheteur ou un locataire correctement informer de saisir la valeur réelle du bien qui pourrait être impacté par une consommation d'énergie importante. Pour le vendeur ou le bailleur, le DPE incite à valoriser son logement par rapport à d'autres habitations aux performances moindres en réalisant les travaux de rénovation thermique adéquats (équipements, isolation, etc.). Si la loi ne prévoit pas de sanction en cas d'absence du DPE dans le dossier présenté par le vendeur ou le loueur, cette dernière peut donner lieu sur le plan civil à la nullité du bail. Toutefois, une falsification du DPE peut entraîner sur le plan pénal la condamnation du vendeur ou du bailleur à une amende d'un montant maximum de 37 500 euros et une peine de deux ans de prison, alors que le diagnostiqueur peut se trouver confronter à une amende d'un montant maximum de 1 500 euros s'il ne transmet pas le dossier à l'ADEME.

Un dispositif limité

Ces amendes peuvent sembler sévères au premier abord. Pourtant, le DPE est un dispositif central dans la stratégie étatique de rénovation énergétique des logements, qui s'est trouvé très vite confronté à plusieurs critiques émises à son encontre. La principale émane de deux rapports de l'UFC-Que Choisir, émis en 2011 et 2012, qui montre l'incompétence des opérateurs certifiés. Dans le rapport de février 2011, elle montre que "sur quatre maisons visitées par seize diagnostiqueurs différents, deux maisons ont été classées dans pas moins de trois classes énergétiques différentes, une a été classée dans deux étiquettes différentes, une seule s'étant vu attribuer la même étiquette énergétique par tous ces "professionnels"". Ce qui peut avoir des conséquences financières importantes pour le locataire ou l'acheteur, car "une des maisons enquêtées a été classée, selon les diagnostiqueurs, en C, D ou E, avec une estimation de consommation de 134 kWh à 244 kWh/m2/an, soit une facture annuelle variant de 1 000 à 1 800 euros !".

Les réactions ont été vives face à ces critiques. Sous la pression des députés, qui considèrent dans le rapport d'information sur l'application de la loi Grenelle 2 "[qu']en dehors de son coût jugé élevé dès lors qu'il ne sert que d'outil de sensibilisation, le diagnostic soulève une question de légitimité des politiques publiques, dès lors qu'un outil dont la fiabilité n'est pas toujours assurée sert de fondement pour la majoration d'une aide fiscale", le gouvernement a réagi assez rapidement. Nathalie Kosciusko-Morizet et Benoist Apparu ont annoncé en décembre 2011 six mesures pour améliorer et fiabiliser le DPE : une meilleure transparence vis-à-vis des particuliers, une amélioration de la méthode de calcul, l'utilisation de logiciels validés par le ministère, la mise en ligne d'une base de données des DPE, une montée en compétence des diagnostiqueurs et un contrôle plus efficace. Las, en octobre 2012, le rapport réactualisé de l'UFC-Que Choisir montre que quelques mois plus tard, les réformes n'ont rien changé. Si à cette période certaines mesures n'ont pas encore été mises en place, comme la nouvelle méthode de calcul, la critique provoque la colère de certains professionnels du diagnostic immobilier.

Et parfois dévié de son objectif initial

Ces réactions épidermiques sont le signe de la mauvaise foi des diagnostiqueurs. Cette dernière transparaît dans les "excuses" présentées en 2011 par la profession suite à la première enquête de l'UFC-Que Choisir : les différences de notation pour une même habitation s'expliqueraient par les pressions subies par le diagnostiqueur de la part de l'acheteur, car la note du DPE conditionne l'accès à un prêt à taux zéro (PTZ+). Ben voyons... Que penser de la stratégie à peine plus subtile de faire pression sur le gouvernement en prétextant que toutes réformes de la réglementation entraîneraient mécaniquement une hausse des tarifs ? Alors même que les prix varieraient du simple au double dans un rayon de 10km ? Serait-on face à une nouvelle profession, créée de toute pièce par la réglementation, qui chercherait coûte que coûte à maintenir ses privilèges, alors qu'elles scient déjà la branche sur laquelle elle se perche ? On voit d'ailleurs mal les agents immobiliers spéculer et descendre un prix d'achat en cas de DPE défavorable, comme à l'inverse augmenter le prix de vente d'un logement classé A ou B. Selon l'association DINAMIC (Développement de l’Information Notariale et de l’Analyse du Marché Immobilier et de la Conjoncture), cette différence de prix serait en effet de 14 à 27% pour un bien classé A par rapport à un logement classé D. Pour les classes F et G, la baisse serait de l'ordre de 10 à 28% par rapport à la note D.

Les diagnostiqueurs ne sont pas la seule corporation à profiter du DPE. L'association DINAMIC, toujours dans son rapport sur "Immobilier et valeur verte - Etat actuel de la réflexion", considère en effet que la méthode de calcul du DPE discrimine les logements dépendant majoritairement de l'énergie électrique. Pour Jean Bergougnoux, président de l'association Equilibre des Energies, "il est totalement incohérent de pénaliser, dans le cadre d'une réglementation censée accompagner la transition énergétique, les solutions les plus économes, que l'on parle d'euros ou d'émissions de CO2 [...]. Un scandale se prépare si l'on s'aperçoit que les logements tout électrique, construits selon les normes, sont bel et bien dépréciés !". Ainsi, le coefficient multiplicateur appliqué à l'électricité est de 2,58, alors que celui appliqué aux énergies fossiles, comme le fioul et le gaz, n'est que de 1 ! De là à penser que certains acteurs du marché, dont l'Etat (cf. commentaire de l'article), intriguent pour favoriser leurs solutions plutôt que d'autres, il y a un pas qui ne saurait être franchi sans preuve, mais l'hypothèse est loin d'être farfelue à observer les manoeuvres sur le marché de l'isolation.

Et pourtant, un formidable outil pédagogique

Les fossoyeurs du DPE sont paradoxalement ceux qui en profitent le plus. D'un dispositif relativement simple et peu coûteux (200 euros sur le prix ou le loyer d'un bien immobilier, c'est quand même très faible), avec une dimension pédagogique non négligeable pour inciter les propriétaires à sauter le pas des travaux de rénovation énergétique, le DPE nous est présenté comme une de ces nouvelles normes qui saturent les secteurs de la construction et de l'immobilier. Pourtant, en comparaison d'une RT 2012, les contraintes sont ici minimes et n'obligent à rien, elles conditionnent seulement le prix de vente ou le loyer de l'habitation. Par conséquent, plusieurs idées et mesures sont avancées pour rendre au DPE sa légitimité :
  • responsabiliser les diagnostiqueurs (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui) en sanctionnant sur les plans civil et pénal les mauvais diagnostics grâce à des contrôles plus stricts et plus accrus ;
  • multiplier les simulations pédagogiques sur Internet comme la méthode 3CL développée par l'ADEME permettant de réaliser un DPE officieux ;
  • développer et rendre accessible les outils (par exemple les caméras thermiques) permettant aux particuliers de réaliser eux-mêmes un DPE officieux, à l'instar de ce qui se fait dans les ballades thermiques.
Alors pour une fois qu'une réglementation semble aussi équilibrée, entre contraintes, tarifs, pédagogie et marge de manoeuvre, ne serait-il pas dommage de la laisser s'éteindre dans un coma long et inutile ?

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