jeudi 11 septembre 2014

De la durée de vie d’un bâtiment : conception, construction et gestion

Les trois dimensions de la vie du bâtiment : conception, construction et gestion
(source : http://www.cleantechrepublic.com)

La nécessité de construire pour loger les Français, dans les années 1960 et 1970, a eu pour conséquence de placer la conception et la construction d’un bâtiment, quel qu’il soit, comme les deux seules étapes étudiées et réalisées par les acteurs du BTP. Ainsi, historiquement, architectes et constructeurs ont une vision réductrice de leur activité mais également une tendance à la prétention. Ils seraient les seuls acteurs légitimes sur le secteur, ce qui n’est pas sans cocasseries quand on connaît les relations interprofessionnelles entre ces deux catégories.

Bien évidemment, cela est regrettable en bien des points : pour eux d’abord, car cette mentalité les empêche de prendre en considération l'ensemble des évolutions de leur secteur d’activité et d’en prendre la pleine mesure ; pour la Nation ensuite, qui voit dorénavant comme problématique centrale la question de la rénovation thermique.

De fait, une troisième dimension de la vie du bâtiment (faisons abstraction de sa démolition) apparaît : sa réhabilitation. Ainsi, les enjeux énergétiques et environnementaux actuels, au-delà d’avoir des répercussions sur la conception et la construction du bâtiment, ont également des aboutissants sur la gestion du bâti. En effet, il est rare en France d’avoir une gestion « à la chinoise » consistant à construire et détruire (disons tous les 15 ans) les bâtiments d’une zone afin de faire place nette à de nouvelles structures.

De fait, la réhabilitation des habitations est devenue une question centrale du gouvernement, peut-être même plus importante que la problématique de la construction de logements neufs. Sans revenir sur les aides financières à disposition ou encore les différents constats sur la politique actuelle en matière de rénovation énergétique des logements, intéressons-nous à une idée qui fait son chemin dans le milieu : la création d’une carte d’identité du bâtiment, permettant d’optimiser sa durée de vie.

La gestion du bâti au centre de toutes les attentions 

Ces derniers mois ont vu l’émergence de différentes réflexions concernant les politiques de rénovation thermique (et leurs échecs). Par exemple, UFC-Que Choisir a vertement critiqué la mention RGE tout en proposant la mise en place d’une filière d’experts indépendants appelés « architectes-énergéticiens ». Ceux-ci seraient ainsi en mesure de réaliser un audit complet du bâti, de coordonner les travaux de rénovation et de mener les audits de fin de travaux.

D’autres acteurs ont également fait des propositions mais se sont focalisés, non pas sur le système actuel de rénovation et les différentes parties prenantes, mais sur le bâtiment lui-même. Ainsi, tout en évitant soigneusement de se mettre à dos une partie de la profession en critiquant le système actuel, ces différents organismes ont promeut une idée intéressante : faire de la problématique de la gestion du bâti la question centrale à résoudre si on veut atteindre les objectifs assignés par le gouvernement.

Par exemple, le groupe de travail GT4 piloté par Alain Maugard, président de Qualibat, dans le cadre d’Objectifs 500 000, a présenté son passeport énergétique à points, en février 2014. En s’appuyant sur la logique de progressivité des travaux, « chaque opération pourrait être associée à un certain nombre de points qui, cumulés permettrait le déblocage de l’aide publique de l’Etat au bout d’un seuil à définir. On peut même imaginer d’y introduire une date limite pour les travaux, à l’image d’une carte de fidélité. Les points seraient attribués par l’entreprise RGE et détenu par le particulier. Au final, le particulier qui a fait ce parcours énergétique, certes en plusieurs fois, aurait le même avantage financier que celui qui a fait réaliser son bouquet de travaux en une seule fois ».

De même, en mai 2014, le Plan Bâtiment Durable a annoncé la création d’un groupe de travail sur la thématique « Rénovation des logements : du diagnostic à l’usage », avec notamment une focalisation sur la carte vitale du logement. Confié à Emmanuel Cau, élu EELV et vice-président du Conseil régional de Nord Pas-de-Calais, ainsi qu’à André Pouget, gérant du bureau d’études Pouget Consultants, ce groupe de travail doit donner les conclusions de ses travaux à l’automne, notamment sur deux questions prépondérantes : comment est organisée et circule l’information dans les projets actuels de rénovation ? Quelles sont les initiatives publiques ou privées qui sont proches d’une « carte vitale » ?

Toutefois, The Shift Project semble être l’organisme qui est allé le plus loin dans la théorisation et la présentation de son passeport rénovation énergétique. Ainsi, le think tank propose que chaque logement dispose d’un document qui répertorie les évolutions dont il a fait l’objet : un diagnostic de performance énergétique établissant les consommations et dépenses énergétiques réelles, une préconisation de travaux à réaliser et un planning de réalisation par un artisan qualifié. 

The Shift Project et le passeport rénovation énergétique : l’acteur et l’idée du XXIème siècle ?

The Shift Project a mis en pratique une idée toute bête mais indispensable pour faire évoluer les sociétés complexes comme les nôtres : être à l’interface de différents mondes (universités et écoles, entreprises, société civile, pouvoirs publics et institutionnels) qui ne communiquent pas ou peu entre eux (la lecture ou relecture d’Edgar Morin, le théoricien de la complexité, sont essentielles pour vivre dans le monde actuel). Ainsi, The Shift Project a émergé en 2010, avec l’initiative de Jean-Marc Jancovici, celui-ci souhaitant mettre en œuvre une rupture dans la philosophie de la définition et la mise en œuvre des politiques publiques. Très vite, ce think tank a su fédérer divers acteurs importants, allant du monde de l’entreprise (BTP, énergie : EDF, Schneider, Enertech, Bouygues, Saint Gobain, Rockwool…) aux agences publiques (Agence Parisienne du Climat, Effinergie...).

De cette alliance est née, entre autres, l’idée de mettre en place un passeport rénovation énergétique, projet présenté en juin 2014. A noter qu’une conférence sur ce sujet est donnée le 30 septembre, avec présentation d’une prémaquette du passeport ainsi que de l’étude pilote.

Présentation du passeport rénovation énergétique en juin 2014
Les slides sont disponibles ici

Ainsi, le constat de The Shift Project est sans appel : mener une politique de rénovation thermique des bâtiments sur la simple incitation fiscale montre ses limites. Mais surtout, il y a un problème de prise de conscience par les propriétaires de l’importance de l’isolation du bâti, ne serait-ce qu’en termes financiers, puisque les prix de l’énergie, même s’ils sont en hausse, reste faibles comparativement à d’autres pays. Comme le dit Brice Maillé, chef de projet de The Shift Project, « compte tenu du prix actuel de l’énergie, la rénovation énergétique est peu rentable pour le propriétaire. Lui dire qu’il va économiser 500 euros par an pour des travaux qui oscillent entre 20 et 30 000 euros, cela ne passe pas ! Le propriétaire est focalisé sur le confort de son logement et la valorisation de son patrimoine : ça lui parle ».

Le passeport rénovation thermique du logement, à la fois carnet de santé du bâtiment et guide d’accompagnement des ménages pour leurs futurs travaux, serait la solution pour remédier à ces écueils. Il est donc un échéancier des travaux à réaliser obligatoirement, permettant une planification cohérente. Il a aussi un puissant effet d’entraînement puisque, selon The Shift Project, la filière se structure, gagne en visibilité (des travaux à faire, c’est-à-dire du chiffre d’affaires sur plusieurs années) et en compétences. La théorie étant faite, encore faut-il passer à la pratique...

A vouloir contourner le problème, on revient toujours au point de départ

Deux bémols peuvent être avancés à la proposition, néanmoins pertinente, de The Shift Project. D’une part, la différence entre l’association de consommateurs et le think tank est que UFC-Que Choisir pense – à raison selon nous – que le niveau des formations « reconnu grenelle environnement » est bien trop faible pour obtenir de bons résultats alors que The Shift Project n’évoque pas/peu ce sujet. Mettre le bâti au centre de la problématique est une vraie rupture dans la réflexion et la définition des politiques publiques, puisque le vrai problème est le faible niveau de rénovation, selon le think tank.

Toutefois, en raisonnant de manière systémique (Cf. Edgar Morin), il faut bien noter que le problème de compétences est imbriqué à l’exigence de rénovation. De fait, il est absolument nécessaire de prendre en compte la question de la formation des auditeurs/diagnostiqueurs. Ce que semble omettre (en partie) The Shift Project. Pourquoi ? Parce son projet pilote de passeport rénovation nécessite le soutien des acteurs en place (CAPEB et FFB en tête) ? Bref, on ne le dira jamais assez : le mal qui mine le BTP français est l’inadaptation chronique des salariés et entreprises, notamment aux enjeux de la rénovation énergétique.

Le deuxième point qu’effleure The Shift Project concerne le rôle des politiques et leur ignorance face à la problématique. Dans sa plaquette de présentation (page 9), le think tank explique bien qu’il cherche à atteindre les décideurs politiques via des actions d’influence sur les décideurs économiques, les médias et les corps intermédiaires, qui eux, à leur tour, influenceront les décideurs. Stratégie intéressante, absolument nécessaire, mais quid du résultat ? Ce que reconnaît parfaitement Jean-Marc Jancovici dans cette intervention décapante, très instructive et réaliste sur la psychologie de l’homo politicus et la sociologie du monde politique. Selon lui, le dialogue entre le monde de l’expertise technique et celui des décideurs politiques est pris dans un goulet d’étranglement extrêmement fort qui s’appelle les médias et les lobbys. Pas seulement les entreprises mais aussi les ONG environnementales, ces corps constitués qui ont l’ambition de peser sur la décision publique. Et d’ajouter : « s’attaquer frontalement à la place de la Bastille est un truc qui n’est pas commode ». Faire passer un message est compliqué mais le mettre en œuvre, c'est-à-dire voter une loi, l'est encore plus...

Jean-Marc Jancovici sur la psychologie de l’homo politicus 
et la sociologie du monde politique

Ainsi, The Shift Project est une excellente idée, un acteur hybride capable de fédérer des acteurs variés : un million d’euro de budget sur l’année, tout de même, et 5 permanents. De même, le passeport rénovation énergétique est une vraie rupture (au sens positif du terme, précisons le...), centrant la problématique sur la gestion du bâti dans une logique de progressivité et d’efficacité. Toutefois, au bout d’un moment, cette idée doit être mise en œuvre. Autrement dit, il faut dépasser la simple théorie et prendre en compte le fonctionnement du système actuel… Et on en revient à la question des compétences et de comment l’action publique peut les renforcer. Réalisme, quand tu nous tiens...

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1 commentaire:

  1. Merci beaucoup pour cette information, je travaille dans l'industrie de la construction et l'ai trouvé très utile.

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