mercredi 29 octobre 2014

Financement participatif et immobilier : the next big thing ?

Le financement participatif est-il adaptable au marché immobilier ? (source : www.latribune.fr)

A écouter certains observateurs dans les conférences sur le sujet, le financement participatif serait une révolution qui va changer non seulement la manière de faire mais aussi les manières d’interagir entre les protagonistes. Concernant le crowdfunding appliqué à l’immobilier, les nouveaux acteurs véhiculent déjà leur storytelling charmeur et charmant quand d’autres y voient d’ors et déjà le fossoyeur de leurs rentes. 

Nouvel avatar de ce Web social qui émerveille ou affole, le crowdfunding immobilier mérite de s’y intéresser, de se saisir du phénomène et de leur faire fructifier. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’au geste « participatif » vient se greffer la notion de retour sur investissement… Aussi, à l’origine proche de la sphère religieuse et caritative, le financement participatif est devenu un business qui pourrait remodeler les différents périmètres d’activités des acteurs historiques et leur place dans la chaîne de valeur. 

Idée ancienne, développement nouveau

Le crowdfunding ou financement participatif est un mode de financement de projets par le public. Les fonds récoltés, généralement de faibles montants et auprès de nombreuses personnes, permettent de financer un projet artistique ou entrepreneurial. Historiquement apparu en Angleterre au XVIIIème siècle, dans les communautés souhaitant financer des actions de charité, le financement participatif s’est fortement développé ces dernières années grâce à Internet et au développement des réseaux sociaux.

En effet, le financement participatif prend surtout la forme, au milieu des années 2000, du microcrédit, pratique consistant à attribuer des prêts de faible montant à des entrepreneurs ou à des artisans qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Généralement observés dans les pays en développement ou bien ne concernant qu’une catégorie très déshéritée de la population des pays occidentaux, le microcrédit est revenu au goût du jour avec les actions de Muhammad Yunus, soutenu par le géant de l’agroalimentaire Danone.

Se sont alors développés des plateformes de microcrédit comme Kiva, fondé en 2005, ou encore le Français Babyloan, créé en 2008. Néanmoins, ces sites sont majoritairement dédiés au financement d’actions (petite activité d’élevage, agricole, etc.) dans des pays en développement. Ainsi, des Occidentaux prêtent de l’argent à des personnes habitants des pays pauvres et qui souhaitent développer un projet, c’est-à-dire que l’argent est récolté par la plateforme Internet qui transfert les fonds vers le partenaire local (institutions de microcrédit) qui, à son tour, prête l’argent à la personne à qui il est dédié. Celle-ci rembourse le capital versé par mensualités d’un faible montant, assorti d’un taux d’intérêt faible.

Toutefois, le financement participatif est beaucoup moins restreint que ne peut l’être le microcrédit.

Un foisonnement d’acteurs touchant diverses problématiques

Internet facilite la circulation de l’information et permet l’extension de l’économie du troc et du don. Ainsi, une personne avec un projet mais des difficultés pour réunir des fonds d’amorçage peut alors le proposer sur des sites dédiés. Historiquement, la musique fait office de laboratoire expérimental, plein d’artistes manquant d’argent pour lancer leur groupe ou produire leurs chansons. Le site de financement participatif My Major Company est ainsi créé en 2007.

Néanmoins, la période contemporaine est à la quête de sens, à l’engagement dans une aventure. Rien de bien novateur, certes, mais Internet révolutionne les manières et l’intensité de le faire. En quelques clics, on peut s’informer, échanger sur ses goûts, ses idées… et financer des projets. Les sites de crowdfunding « généralistes » comme Indiegogo ou Kickstarter fondés en 2008-2009 aux Etats-Unis, ou encore KissKissBankBank (France, mars 2010) surfent sur cette vague. Sans oublier que le contexte de l’époque – et toujours prégnant actuellement – est à la défiance vis-à-vis des intermédiaires bancaires et financiers traditionnels.

Toutefois, ce n’est pas seulement le caritatif qui est ciblé mais aussi et surtout le projet entrepreneurial. Le financeur est attiré par le projet qui lui plaît mais son argent n’est pas donné (ou plutôt proposé) en pure perte. Ainsi, au-delà du don, où il n’y a pas de rémunération du donneur, le financement participatif englobe également :

  • La participation aux fonds propres de la société créée : l’investisseur devient actionnaire et se rémunère sur les dividendes ou la plus-value réalisée lors de la cession des titres ;
  • Le prêt : obligatoirement sans intérêts pour les particuliers, ceux avec intérêts ne pouvant être faits que par des établissements bancaires agréés par la Banque de France.
En clair, le crowdfunding serait un capitalisme de proximité, dont la croissance est très importante comme en témoigne le doublement des fonds collectés par financements participatifs, en France, entre le premier semestre 2013 et celui de 2014, soit 66 millions d’euros : les prêts représentent 37,4 millions, les dons 19,2 et le capital près de 10 millions.

Un encadrement nécessaire pour renforcer la dynamique

En France, la prise de conscience des potentialités permises par le financement participatif n’est que récente et les principales mesures concernent surtout la crédibilisation des acteurs via la création d’un statut d’intermédiaire en financement participatif (ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 et décret n° 2014-1053 du 16 septembre 2014).
           
Ainsi, les plateformes de crowdfunding obtiennent un agrément officiel pour opérer en contreparties d’obligations de transparence et d’information envers leurs investisseurs. Des limites sont également posées. Par exemple, les prêts rémunérés consentis par des particuliers à des personnes morales ou physiques sont plafonnés à un million d’euros par prêt et 1 000 euros par prêteur. Concernant les prêts sans intérêt, le plafond est porté à 4 000 euros et pour dépasser ces plafonds, il faut obtenir un agrément d’établissement de crédit délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et un agrément de prestataire de service d’investissement délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Et ces instances de régulation de rappeler les risques liés au crowdfunding, notamment la perte totale ou partielle du capital investi, le risque d’illiquidité (la revente des titres n’est pas garantie, il est difficile d’en connaître la valeur exacte) et un retour sur investissement aléatoire. 

Concernant les services de levée de fonds proposés aux entreprises, les plateformes doivent adopter le nouveau statut de conseillers en investissements participatifs (CIP) ou bien exercer en tant que prestataires de services d’investissement. Toutefois, les entreprises souhaitant lever moins d’un million d’euros par ce biais sont exemptées de publication d’un prospectus financier.

Le modèle d’affaires des acteurs du crowdfunding immobilier

Les plateformes pariant sur l’immobilier restent encore marginales : Anaxago, Wiseed, Crowd-Immo, Lymo et Hipipipimmo (quoique celui-ci reste purement focalisé sur le locatif) sont généralement les plus connues. Leur rôle est simple : elles présélectionnent des promoteurs immobiliers et proposent ensuite les projets aux particuliers afin qu’ils participent au financement. Une fois celui-ci achevé et les lots vendus, ils se partagent les bénéfices.

Ainsi, les plateformes, comme tout site Internet BtoB, sont plus qu’un simple vecteur de commercialisation. Elles permettent une meilleure circulation de l’information et la création d’une relation de confiance (en combien de temps toutefois ?), ce qui est toujours appréciable dans un marché immobilier en crise et d’une grande complexité.

Cette mise en avant du côté humain des projets à financer s’accompagne d’un storytelling en direction des investisseurs : elles sont une nouvelle façon de diversifier ses investissements et de faire fructifier son épargne. En outre, elles se posent en facilitateur des promoteurs, ceux-ci ayant de plus en plus de mal à trouver les fonds propres nécessaires pour lancer leurs projets ou pour faire face à l’allongement des délais de commercialisation. En effet, dans ce métier, la banque tout comme les ventes sur plan financent chacun 40% du programme. Le promoteur doit alors apporter les 20 % restant pour que le projet se réalise.

Les plateformes permettent alors la rencontre entre particuliers et promoteurs en manque de liquidités, au travers de montages sûrs et rémunérateurs.

Le crowdfunding immobilier : une chimère ?

Anaxago et Lymo se risquent à avancer 10 % de rentabilité avant impôts. Comment ? En empiétant directement sur les plates-bandes des promoteurs immobiliers, là où se réalisent la création de valeur et donc, la plus-value à capter. Néanmoins, à y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il y a des déterminants à prendre en compte. Par exemple, l’investissement est immobilisé entre deux et trois ans, selon les plateformes. En vérité, ce type d’investissement n’est que trop récent pour en tirer des conclusions en termes de rentabilité.

Quant à l’universalité du crowdfunding dans l’immobilier, c’est le grand paradoxe. L’exemple généralement mis en avant pour montrer son efficacité concerne la société montpelliéraine Kalelithos dont Anaxago a permis de lever 1,8 million d’euros en 40 jours (mars 2014), auprès d’une cinquantaine de personnes. Mais faites le calcul : cela fait environ 35 000 euros par investisseur…

Aussi, l’immobilier comme nouvelle frontière de l’investissement participatif est à sérieusement tempérer. Selon le dernier baromètre reprenant les chiffres compilés par diverses plateformes de crowdfunding, réalisé par l’agence conseil en innovation CompinnoV, l’immobilier ne représenterait que 6 % des investissements réalisés, essentiellement sous la forme de participations au capital d’une société. Or, le taux de succès des projets (quels qu’ils soient) sous cette forme n’est que de 56 %, bien moins que lorsque les projets sont financés grâce à des dons ou prêts (98 % de réussite).

Par ailleurs, quand le projet est financé sous la forme de fonds propres (capital), ils sont généralement avancés par des entreprises et seulement à 3 % par des particuliers. Et dans ce cas, sans surprise, les financeurs par apport de capital sont surtout des personnes entre 35-49 ans (50 %) tandis que les 25-34 ans et les 50-64 ans ne représentent que 25 % chacun. Cela peut s’expliquer par la faible appétence pour les nouvelles technologies pour les derniers et les moindres ressources financières pour les seconds. De fait, seuls les 35-49 ans ont la possibilité d’investir, en moyenne, 2000 euros dans le capital d’une société.

Aussi, le crowdfunding immobilier reste une idée intéressante mais le secteur est encore jeune. Par exemple, il n'est pas inutile de s'interroger sur les méthodes de rémunération de ces nouveaux acteurs : on pense souvent que le coût d’utilisation des plateformes est nul ou presque mais c’est aussi oublier que celles-ci sont des entreprises commerciales qui doivent avoir une rémunération adéquate de leurs services. Quid de leur pérennité ? Sans oublier qu’elles sont en concurrence directe avec d’autres produits financiers, tels que les SCPI, les OPCI, les fonds immobiliers de l’assurance-vie voire les sociétés foncières cotées en bourse.

Toutefois, les acteurs historiques du secteur se garderaient bien de tout snobisme à l’égard des Anaxago, Wiseed, Crowd-Immo, Lymo et autres. A l’image de Google ou Apple pour la domotique, ces derniers sont les nouveaux trublions de l’immobilier, certes avec un modèle économique à prouver. Ce qui n’empêche pas certains de voir dans le financement participatif le futur bâtisseur des villes. A suivre…

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