jeudi 23 octobre 2014

Le logement, préoccupation majeure des Français : le scoring pour l’atténuer ?

Le logement, une des grandes inquiétudes des Français (source : observatoire-axa.fr)

Historiquement, la sécurité et la situation économique ont été les deux grandes préoccupations des Français. Ce qui est parfaitement compréhensible puisque cela touche aux besoins primaires de l’être humain : se sentir protéger, obtenir les ressources financières pour mener sa vie.

Apparaît toutefois, depuis trois ou quatre ans, une nouvelle inquiétude : la difficulté de se loger. Les raisons en sont simples : l’augmentation continuelle des prix de l'immobilier et des loyers couplée à la crise économique. A cela s’ajoute les gros titres des journaux sur les comportements d’hommes et femmes politiques, vivant indument dans des logements sociaux alors qu’il y a un engorgement des demandes pour très peu de places. Pour remédier à ces maux, le « scoring », comme processus d’attribution transparent et efficace de logements à loyer modéré, fait florès… mais officialise surtout une manière de gérer la pénurie.  

Une préoccupation majeure des Français…

En 2011, l’étude IPSOS/Nexity met en exergue le logement comme un des enjeux grandissants dans les années à venir, concomitamment avec les questions économiques (chômage et pouvoir d’achat). Les catégories socio-professionnelles les plus focalisées sur ces enjeux sont, sans surprise, les jeunes, les locataires et les ménages aux revenus modestes.

En 2013, la même étude IPSOS/Nexity confirme cette tendance, près de la moitié des sondés ne voyant pas d’améliorations alors que l’inquiétude des moins de 25 ans augmente. La résignation des Français est palpable quant aux difficultés d’accès au logement et la question du prix/loyer est centrale. Le logement est devenu un poste de dépenses important pour les ménages, qui plus est en période de crise.

Mais ce qui est paradoxal, et le plus inquiétant, est : d’une part, le manque total de confiance des Français en l’avenir et dans la capacité des responsables politiques nationaux pour améliorer la situation ; d’autre part, une demande dans plus d’intervention publique pour encadrer et réguler les prix de l’immobilier et du foncier.

… et des élus (locaux)

L’étude IPSOS/Nexity de 2011 révèle qu’en majorité, les élus jugent la situation insatisfaisante en ce qui concerne le prix des loyers sur leur territoire. Certes, les élus ne « découvrent » pas la question du logement, notamment le mal logement, problématique popularisée par l’Abbé Pierre et aujourd’hui par sa fondation. Mais ce qui est intéressant est la convergence totale entre les élus et les Français sur l’inquiétude lié à la problématique logement.

De plus, indirectement, l’étude IPSOS/Nexity met aussi en exergue la confiance des Français envers les élus locaux (municipalités notamment) et moins dans une énième loi générale de la part du gouvernement. Ils perçoivent que l’Etat consacre une place peu ou pas importante aux problématiques du logement alors que, inversement, ils considèrent que les élus locaux y consacrent une place assez ou très importante.

Aussi, les Français et les élus locaux se montrent très critiques sur l’action menée au niveau national. Toutefois, même si les maires sont perçus comme un acteur clé, le renforcement de leur responsabilité sur la question du logement est loin d’être actée. En effet, construire des logements c’est une chose. Pour qui, c’en est une autre. La politique n’est jamais loin

Et l’étude IPSOS/Nexity de 2011 de garder toute son actualité : « entre demande d’accompagnement par l’Etat et désir de conserver leurs compétences actuelles, les élus sont aujourd’hui partagés sur la question du transfert de responsabilité sur la délivrance des permis de construire ».

L’évolution des prix jouent sur les perceptions

Bien malin la personne qui comprend l’évolution des prix de l’immobilier actuellement. Concernant Paris, les certitudes d’un jour sur la baisse des prix sont évacuées rapidement par d’autres analyses. Ainsi, si baisse il y a, de quelle amplitude ? En effet, la baisse serait en trompe-l’œil du fait, notamment, de méthodes statistiques biaisées par l’atomisation des biens vendus : ancienneté du bien, surface, arrondissement (pour ne pas dire les quartiers)… Il n’existe pas un marché de l’immobilier mais des marchés… où les prix sont élevés mais en (légère) baisse. Certains proposent de les encadrer mais la chose reste malaisée, justement pour une question de psychologie.

Là est la seconde problématique. En économie, le prix est un signal envoyé aux acteurs que ceux-ci perçoivent, consciemment et inconsciemment, de manières très différentes. Certes, un prix élevé est un signe de rareté du bien en question mais chacun va l’analyser selon ses propres déterminants : ai-je besoin de ce bien ? Qu’est-ce que je suis prêt à faire (travailler plus, acheter moins d’autres choses…) pour l’avoir ? Etc. Le prix oriente donc des choix/comportements de consommation. Bien évidemment, ce signal reste ambigu : on parle alors d’asymétrie d’informations mais c’est une autre histoire

Aussi, le problème est que nous n’arrivons pas à comprendre le contexte actuel et donc, corolairement, les Français (vous, moi…) font des raccourcis de la situation (à tort ou à raison). Par conséquent, les enquêtes d’opinion mettent en exergue ce qui est ancré dans notre mémoire : le logement est une préoccupation importante, les prix sont historiquement élevés et le gouvernement est très critiqué pour son incapacité à y remédier. Or, dans ce genre de situation, nous avons tendance à nous rattacher à des choses tangibles. Dans le cas présent, aux comportements d’hommes et femmes politiques.

Des comportements qui ne passent plus

Les « affaires » de responsables politiques vivant indument dans une habitation à loyer modéré défraient la chronique ces derniers temps, preuve que le logement est la nouvelle peau de banane qui peut grandement saper votre crédibilité. On se souvient encore, en 2010, de la contre-attaque virulente de Christian Estrosi – alors ministre de l’Industrie – pour couper court aux rumeurs de double logement de fonction, dont un occupé par sa fille.

Plus récemment, Patrick Trémège, conseiller municipal UMP à la mairie de Paris et pourfendeur du logement social, est épinglé pour vivre depuis 20 ans dans un appartement de 90 m², dans un quartier du 13ème arrondissement, pour un loyer de 1 650 euros charges et chauffage compris. Or, en surfant sur les sites d’annonces immobilières, on peut se rendre compte que pour cette surface, les prix tournent actuellement autour de 2 300 euros. Ou encore, pour un loyer de 1 650 euros, la surface est de 45-55 mètres carrés.

De même pour la secrétaire générale du groupe UMP de Paris, Marie-Line Reperant, qui réside dans un logement social (75019) depuis 1988 ou encore Jean-Jacques Giannesini, tête de liste UMP dans le 19ème arrondissement aux dernières élections municipales, disposant d’un logement social d’une superficie de 80 m² pour un loyer de 1 200 euros.

Ce genre de pratiques n’est pas l’exclusivité de la droite. Ainsi, en juin 2014, Michèle Sabban, vice-présidente PS de la région Île-de-France, en charge des dossiers des demandeurs de HLM, est épinglée par la presse pour son 70m2 à Paris (75013), à seulement 1 218 euros de loyer. Ce genre de révélations jette le discrédit sur les responsables politiques et favorise le discours « tous pourris » cher aux extrêmes (*). La liste d’élus parisiens en logement social est interminable. Pis, ce système est tout à fait légal alors que, dans le même temps, des familles prioritaires doivent attendre. Surtout, ce genre d’exemples marque durablement les Français. Dans un contexte morose, la tendance est à la focalisation sur les profiteurs et les maux du système.

Vers l’impartialité dans les processus d’attribution ?

Pour mettre fin à l’injustice, à l’opacité et l’inefficacité des attributions de logement social, certaines mairies ont mis en place diverses méthodes, dont celle du « scoring ». En clair, il existe des critères de sélection (géographiques, familiaux, sociaux…) et chaque dossier présenté gagne des points. L’attribution se fait alors non pas en fonction du temps écoulé depuis le dépôt du dossier mais en fonction de l’urgence de la situation du demandeur.

Ainsi, Paris réalise actuellement des tests sur l’efficacité de cette méthode. Lorsqu’un logement social se libère, la mairie retient les dossiers des demandeurs qui correspondent à l’offre et prend les cinq cumulant le plus de points. Ceux-ci sont examinés par la commission de la ville (élus et membres d’associations), qui en retient trois. Enfin, la commission du bailleur social examine ces dossiers et choisit le futur locataire. Néanmoins, cette pratique n’est pas nouvelle puisque Rennes l’a mise en place il y a une quinzaine d’années, pour compléter le guichet unique, qui lui, a été mis en place en… 1954 !

Autre exemple à Salon-de-Provence, où la méthode choisie est celle d’un comité consultatif composé de 8 habitants de la ville. Ceux-ci donnent leur avis sur les dossiers présentés, qui seront in fine choisis par un groupe composé du maire, de deux élus au logement, d'un technicien, de deux personnes issues d’associations du secteur du logement et de deux personnes issues d’associations à vocation sociale. Les dossiers, examinés chaque mois, sont anonymisés et ne comportent que des données factuelles : âge, situation familiale et professionnelle, type de contrat et salaire, revenus, logement actuellement occupé, ancienneté de la demande, etc. En outre, la commission possède les détails de l’appartement à attribuer et la composition des autres appartements du lot pour favoriser la mixité.

Toujours le même problème : gérer la pénurie

Certes, ces méthodes d’attribution ont des résultats positifs indéniables (cf. Rennes). De plus, comme le rappelle Ian Brossat, adjoint au maire de Paris en charge du logement, le scoring est une nouvelle manière de faire de la politique, plus transparente, en droite ligne avec l’impératif démocratique. Mais de là à parler de « révolution »…

Les nouveaux processus d’attribution révèlent surtout un malaise : ils permettent principalement d’organiser la pénurie tout en étant une acceptation implicite de l’incapacité à construire. Nicolas Isnard, maire UMP de Salon-de-Provence – tout juste élu et dont la création d’un jury citoyen était une promesse de campagne – reste lucide sur la situation : « à Salon, le parc locatif social est composé de 4 400 logements et nous avons 2 200 demandes de logements pour un taux de rotation de 8,4 % par an ». De même, à Paris, il y a 148 000 demandes annuelles de logement social (dont 40 000 émanent de familles vivant en dehors de Paris) pour 12 000 attributions.

Aussi, le scoring est un moyen d’envoyer un signal politique à la population (on agit !) même si cela ne concerne que le logement social. Quid du reste de la population ? On en revient donc toujours au même problème : les moyens de dynamiser la construction/rénovation… Car les attentes de la population sont fortes.


(*) Les révélations concernant l’occupation indue d’un logement social peuvent cibler finalement toute personnalité publique, à l’image de Frigide Barjot, ex-égérie de la Manif pour tous, celle-ci disposant pourtant d’un étonnant patrimoine : un 4-pièces avec balcon hérité de sa mère (177, rue Lafayette, 75010) ; un appartement avec balcon hérité de son père (19, rue de Lourmel, 75015) ; une maison de vacances à Port-Grimaud (Golfe de Saint-Tropez, Var), trois caves dans Paris, un parking privé et une maison à Trouville-sur-Mer.

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