jeudi 29 janvier 2015

L’isolation thermique par l’extérieur menace-t-elle le patrimoine culturel national ?

L'isolation thermique par l'extérieur, arme de destruction architecturale massive ? (source : sppef.fr)

L’esthétisme est-il soluble dans le BTP ? Loin d’être le prochain sujet du bac de philosophie, la profession bruisse d’un nouveau débat induit par le projet de loi relatif à la transition énergétique : l’impact de la rénovation obligatoire du bâti sur le patrimoine architectural national. En effet, divers articles feraient la part belle aux techniques d’isolation thermique par l’extérieur, habillant le bâti rénové d’un linceul bien peu esthétique. Si cela est approprié sur des maisons et immeubles quelconques, qu’adviendrait-il de nos habitations et bâtiments presque centenaires, voire plusieurs fois centenaires ?

Le débat est ardu car les enjeux économiques et de bien-être sont enchevêtrés avec ceux en lien avec la sauvegarde du patrimoine. Par définition affective, passionnelle, la culture est quelque chose de précieux et la France en a une grande acuité. D’où la cristallisation des débats entre différents protagonistes. Toutefois, il serait faux de croire que le secteur de la construction-rénovation, sur cette question, soit l’ennemi. En effet, malgré les perceptions et clichés qui ont la vie dure, BTP ne signifie pas obligatoirement « bourrin écervelé » (désolé pour l’image).

Des interrogations légitimes

Les enjeux du changement climatique, de la fracture énergétique (85 % des logements en France sont mal classés pour la consommation énergétique : étiquettes D, E et F dans les diagnostics) mais aussi de l’obsolescence des bâtiments (pour la plupart construits dans les années 1950 et 1970) rendent nécessaire une politique publique de rénovation du bâti. Or, cet objectif entre en collision avec des enjeux financiers (comment financer ?) mais aussi historiques. La France, première nation touristique et pays fier de son Histoire, de ses territoires et invariablement de son architecture, se doit de prendre en compte ces enjeux qui touchent les Français au plus près.

Ainsi, l’actuel projet de loi sur la transition énergétique, notamment son volet sur l’isolation du bâti, soulève des interrogations de la part des professionnels de la protection du patrimoine. En effet, une des méthodes mises en avant – imposée selon certains détracteurs – est l’isolation par l’extérieur (ITE), c’est-à-dire la pose d’un isolant (polystyrène, laine de roche…) sous un enduit, une vêture ou un bardage.

Or, si cette généralisation de l’ITE s’avérait obligatoire, les bâtiments historiques (pas les Monuments Historiques qui sont soumis à une autre législation) perdraient de leur intérêt esthétique et authentique, ce qui aurait des conséquences négatives sur l’activité touristique mais également sur la relation entre les individus et le territoire où ils vivent. En outre, l’ITE serait susceptible de fragiliser le bâti existant, le rajout d’une couche affaiblissant les fondations. Pour finir, les bâtisseurs d’avant optimisaient au mieux ce qu’ils avaient sous la main. Aussi, l’inertie thermique est valorisée, les murs étant les régulateurs entre le dehors et le dedans. L’isolation par l’extérieur viendrait étouffer la maison, la mettre sous cocon hermétique. Aussi, en Bourgogne, dans le Loir-et-Cher ou encore en Alsace, la colère gronde. 


Alsace : les maisons à colombages menacées par... par francetvinfo

A titre d’exemple, en Alsace, le Service territorial de l’architecture et du patrimoine a réalisé, en juillet 2013, une fiche technique sur l’isolation des bâtiments, avec photos à l’appui. Selon lui, « la pose d’une isolation thermique extérieure dénature et appauvrit la qualité́ architecturale du bâti ancien, car elle rigidifie la façade et entraîne la disparition des éléments architecturaux composant la façade (encadrements, pierres d’angle, corniche). Ce procédé́ n’est donc pas adapté au bâti ancien ».

Une inquiétude grandissante entendue par les sénateurs

Il n’est pas surprenant que dix associations liées à la sauvegarde du patrimoine rural bâti et paysager critiquent vertement l’article de la loi relatif à l’obligation d’ITE. Selon elles*, même les maires « ne pourront pas s’opposer, que ce soit en zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), les abords de Monuments Historiques, les immeubles labellisés patrimoine du XXe siècle, les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, comme la baie du Mont-Saint-Michel ou le Val de Loire ». Leur communiqué est explicite : si la loi est adoptée, « elle signerait la destruction à terme de 90% du patrimoine bâti ancien ».

Cette inquiétude est remontée au niveau politique, via la commission de la culture du Sénat, qui a nommé la sénatrice Françoise Férat pour mener un travail d’auditions afin d’évaluer les impacts sur le patrimoine d’une possible obligation d’isolation du bâti par l’extérieur. Or, il s’avère que la problématique semble ardue à simplifier : arguments et contre arguments s’enchaînent, des articles de lois s’opposent à des dérogations, et il faut encore prendre en compte les avis du gouvernement et des députés… Bref, un vrai micmac.

Toutefois, au-delà du débat parlementaire somme toute banal sur les avantages et les inconvénients d’une loi, le grief principal concernant la loi sur la transition énergétique est l’imposition d’une méthode d’isolation unique : l’isolation par l’extérieur. Peu valorisée en France, alors qu’elle est généralisée en Allemagne, au Danemark et dans les pays nordiques, cette technique se trouverait promue de manière institutionnelle. Une belle victoire pour les professionnels qui ont créé, en 2013, le Syndicat national des bardages et vêtures isolés (SNBVI), regroupant dix industriels.

Les architectes en première ligne

Déjà pourfendeur de la mention RGE, l’Ordre des architectes est vent debout contre le fait d’imposer l’ITE, dommageable pour le patrimoine. Selon lui, il est nécessaire de « laisser les professionnels de la maîtrise d’œuvre être juges de son utilisation selon l’aspect, l’usage, l’occupation ou la disposition du bâtiment dans le site ». Autrement dit, systématiser une solution unique d’isolation est contre-productif… et d’y voir le rôle du lobby des professionnels du ravalement mais aussi d’associations écologistes.

Le CNOA tout comme Rémi Desalbres, président de l’Association des Architectes du Patrimoine, réitèrent alors le nécessaire audit préalable du bâti avant toute opération, ce que seuls les architectes peuvent réaliser du fait de leur compétence et de leur indépendance. En effet, en ne promouvant que le discours concernant la précarité énergétique et la nécessaire rénovation du bâti, en évacuant tout débat contradictoire et toute réflexion globale sur cette question importante, la France ferait exactement la même erreur que durant les années 1950-1970 : l’urgence d’une situation amène des réponses critiquables à court terme et fortement dommageables à long terme. Ainsi, l’obligation urgente de construire des logements, à l’époque, a peu ou pas fait prendre conscience des effets négatifs majeurs que nous payons encore aujourd’hui (ségrégation sociale, infrastructures inadéquates, laideur architecturale…). Le même problème se pose aujourd’hui : en imposant l’isolation des logements via l’ITE, la France se condamne à voir dénaturé son patrimoine, et donc son Histoire. Le combat des architectes est donc bien légitime : l'architecture n'est-elle pas le premier des arts ?

L’actualité est donc à la promotion du dialogue entre les acteurs. A ce propos, il est intéressant de noter la création de Build Beyond by Knauf par l’industriel allemand en 2013 dans le but de « rapprocher art et architecture afin de susciter des opportunités de création et d’échange novateur ». Les professionnels et les métiers, quels qu’ils soient, sont incités à s’ouvrir, à moins évoluer dans un environnement claquemuré, à dépasser leurs traditionnels limites, fixées objectivement ou inconsciemment. En clair, à chacun de s’approprier ce qui lui semble intéressant chez l’autre (un matériau, une idée) pour le façonner différemment, pour le valoriser autrement, c’est-à-dire de manière innovante. L’inspiration s’en trouve décuplée, l’esprit créatif valorisé.

Et que dire du Concours Design « Magnifier le PVC » organisé par le syndicat représentant la filière de l'extrusion plastique (SNEP) et la renommée Ecole Boulle ? Bref, qui a dit que le BTP était étroit d’esprit ?

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* L’Association nationale des Architectes des bâtiments de France (ANABF), la Demeure Historique (DH), Docomomo France, Maisons Paysannes de France (MPF), Patrimoine-Environnement (LUR-FNASSEM), Remparts, Sauvegarde de l’Art Français, Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF), Vieilles Maisons Françaises (VMF).


1 commentaire:

  1. « laisser les professionnels de la maîtrise d’œuvre être juges de son utilisation selon l’aspect, l’usage, l’occupation ou la disposition du bâtiment dans le site »
    100% d'accord avec cette citation de l'article. Il y a trop de généralisation sur l'ite. Autant des pros qui proposent trop souvent le même système, que des personnes qui ne sont pas du métier et qui pensent qu'une isolation est forcément en polystyrène et forcément pas esthétique.
    Alors que d'autres isolant existent, et l'esthétique d'une façade peut être conservée, même s'il y a des corniches et des modénatures.

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