jeudi 5 février 2015

La réforme territoriale et la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités auront-elles raison du BTP ?

NOTRe + baisse des dotations de l’État = sale temps pour le BTP (source : JDD/Louison)

En France, l’économie est souvent présentée comme de la magie noire, des éléments qui s’imposent à nous et sur lesquels nous n'avons, malheureusement, aucune prise. Les fatalistes aiment à poser des diagnostics, avec morgue et pessimisme. Ceux-là en sont réduits à attendre la croissance (ou l’innovation, c’est au choix) comme le marin attend le vent. Ceux-là devraient se rappeler cette phrase de William Arthur Ward : « le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles ».

Ces derniers mois, les fatalistes ont vu d’heureuses surprises économiques : baisse du prix du pétrole, politique monétaire accommodante de la BCE, baisse de l’Euro… Pourtant, ces évènements ne sont que la conséquence de stratégies mises en œuvre par des acteurs (ou agents, pour rester dans la vulgate économique), certes étrangers et non français. Pourtant, en prenant exemple sur ces acteurs, la France pourrait agir. Elle le fait déjà, disent les fatalistes : regardez le crédit d’impôt compétitivité emploi, le pacte de responsabilité, le processus de simplification…

Néanmoins, le drame français est de deux ordres. D’une part, la complexification : il aurait été bien plus simple de baisser les charges et impôts plutôt que de créer de nouvelles procédures pour redistribuer aux entreprises ce qu’il leur a été pris par ailleurs. D’autre part, le goût pour la prise de décision de manière unilatérale et dans l’urgence : l’intendance suivra. Il en va de même pour deux actions gouvernementales majeures, impactant directement un secteur du BTP fortement fragilisé : la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) et la baisse des dotations de l’État aux collectivités.

Collectivités : que d'insouciance... et de clientélisme

La faillite de Dexia et les emprunts toxiques via les subprimes ont fait prendre conscience aux contribuables de la légèreté de certains hommes politiques et responsables d’établissements financiers. Toutefois, on pensait que leurs agissements, en fragilisant la santé financière de certaines communes et la vie des citoyens, avaient servi de leçon. Que nenni ! Des collectivités ont continué à utiliser ces procédés pour se financer, notamment via des prêts en francs suisses ?! Pourtant, la Caisse des Dépôts et l’Agence France Locale n’ont-elles pas ce genre d’attributions ?

Du côté des dépenses, un récent rapport confidentiel sur l’état des finances publiques locales jette le trouble : « l’excédent de dépenses des collectivités s’est creusé, passant de 3,7 milliards d’euros en 2012 à 9,2 milliards en 2013 ». Et de rappeler qu’en 2013, « la masse salariale des collectivités territoriales a progressé de 3,1% après avoir déjà augmenté de 3,5% en 2012, en raison de recrutements nouveaux mais également et surtout du poids de régimes indemnitaires particulièrement favorables ».

Autant de laisser aller alors que les collectivités représentent 21% de l’ensemble des dépenses des administrations publiques, soit 252 milliards d’euros… Cela laisse songeur. En 2014, l’État a bien réduit de 1,5 milliards les dotations mais peu s’en sont inquiétées. Jusqu’à ce qu’on entre dans le dur de la réforme territoriale et de la baisse des dotations de l’État. En effet, entre 2015 et 2017 la réduction doit atteindre 11 milliards d’euros, soit 3,7 milliards par an. Ce qui donne des sueurs froides aux élus locaux. Et pour cause : d’un côté, leurs prérogatives augmentent (rythmes scolaires, personnes âgées, voiries…) ; de l’autre, les ressources financières se font plus rares et ne peuvent être compensées par la hausse des impôts. 

Collectivités : une modernisation à marche forcée

Récemment, le rapport du Commissariat général à l’égalité des territoires est venu rappeler un des objectifs de la NOTRe : une intercommunalité doit regrouper 20 000 habitants minimum, afin d’en avoir pas plus de 1 000 en France (contre un peu moins du double actuellement). Or, cette contrainte institutionnelle, vue comme une modernisation de la gestion des collectivités locales, pose un enjeu démocratique bien légitime. Existe-t-il une acceptabilité réelle de la part des citoyens à voir différentes communes regrouper leurs forces ? Dans notre vieux pays, les querelles de clochers sont légions, posant une première limite – logique ou absurde – au regroupement. Mais il existe aussi de nombreuses questions sur le partage du fardeau financier, du périmètre des compétences fusionnées, des fonctions politiques de chacun des élus, de la représentativité des citoyens, etc.

Néanmoins, l’État, au travers de la nouvelle réforme territoriale, ne laisse que peu de place au conservatisme : les communes doivent se regrouper et sont donc forcées de négocier. Et de jouer de la carotte, en plus du bâton : les dotations pourraient être bonifiées en fonction de l’effort de mutualisation des compétences.

Or, cette mutualisation doit conduire à une rationalisation de l’activité des collectivités et donc de leurs dépenses. Ce qui n’a pas été forcément le cas ces dernières années. Pourquoi ? Car les communes se regroupent pour partager le coût de dépenses nouvelles, comme la création de crèches ou l’amélioration de services publics. Avec la baisse des dotations, l’objectif est avant tout de faire pareil… mais avec moins. D’où les suppressions de postes attendues, la baisse des salaires de certains fonctionnaires ou encore… la mise en œuvre effective des 35 heures (sic !), ce qui passe parfois par des négociations à rallonge et des compromis donnant-donnant.

Ainsi, les collectivités, sur les deux ou trois prochaines années, rentrent dans un tunnel de contraintes politiques et financières qui tendent à les focaliser sur leurs priorités… au dépend du BTP.

Métropoles, régions, départements : un tâtonnement inévitable

L’architecture territoriale institutionnalisée depuis trente ans en France, par différentes lois, est plus ou moins remise en question par la Nouvelle Organisation Territoriale de la République, celle-ci attribuant aux régions de nombreuses compétences historiques des départements (routes, collèges, transports scolaires et transports interurbains).

Toutefois, le renforcement des régions et des métropoles régionales* est encore au stade du marchandage, qui plus est dans un pays foncièrement centralisateur. En outre, il y a plutôt à s’inquiéter de la manière dont est réalisé le transfert de compétences. En effet, actuellement, le flou est total alors que pour Alain Rousset (Président PS de l’Association des régions de France), les régions doivent être confortées sur le développement économique et le service public d’accompagnement de l’emploi sur les territoires. Sous-entendu, les départements disparaissent. Ce qui ne semble pas le cas actuellement.

Une idée partagée par Jean-Christophe Fromantin, député des Hauts-de-Seine et Président de Territoires en Mouvement, pour qui la France « doit adopter une structure et un mode de gouvernance qui épousent de façon plus harmonieuse les échelles et le temps qui rythment dorénavant nos territoires dans la mondialisation ». Aussi, selon lui, les 22 régions françaises devraient laisser la place à huit pôles territoriaux combinant grandes métropoles connectées au monde avec des territoires à vocation productive. « Ces pôles répondent à des principes d’efficacité très précis comme le financement, l’innovation ou les mobilités ; à des effets de seuil, notamment en terme de mixité économique ; et à la volonté de couvrir de façon cohérente l’ensemble du territoire français ». Et de proposer le transfert de compétences, notamment des dispositifs d’aide à l’emploi permettant d’articuler formation et besoins des entreprises : l’apprentissage et la formation professionnelle seraient alors intégrés dans les politiques régionales. Avec pas moins de 60 milliards d’économies estimées grâce à ce processus de transformation, étalé sur une décennie.


Et le BTP dans tout ça ?

La fragilisation actuelle du secteur de la construction et des travaux publics fait craindre le pire à la profession pour l’année à venir. Les donneurs d’ordre que sont les collectivités sont impactés par le manque de visibilité de la NOTRe et par la baisse des contributions de l’État. Or, la hausse des impôts est inenvisageable politiquement (élections cantonales et régionales obliges) et le recours à l’emprunt reste tout aussi insensé.

Lors du dernier congrès des maires, en novembre 2014, les interrogations des maires sur tous ces sujets étaient nombreuses même si conscientisés. Ainsi, dans une période de flou et d’instabilité, la priorité va aux dépenses courantes… et de court terme. Les entreprises de TP ne peuvent que constater les dégâts et manger leur pain noir encore longtemps, malheureusement.

En effet, la problématique du logement, maintes fois évoquées dans les médias, pousse les acteurs locaux à agir et à prendre des décisions légitimes. Ils se sentent soutenus par l’État. A l’inverse, la remise en état des routes ou les travaux plus conséquents sont renvoyés aux calendes grecques (sans mauvais jeu de mot). Les infrastructures sont mal aimées et il n’y a pas une semaine sans que des remises en cause de projets divers fassent la une des médias.

Reste que certaines collectivités défient le fatalisme ambiant et « ajustent les voiles ». En Bourgogne, le conseil régional a décidé d’avancer son plan d’investissement, injectant des millions d’euros dans l’économie locale. Idem en Aveyron où la FBTP 12 et le Crédit agricole Nord Midi-Pyrénées ont imaginé un système innovant de préfinancement des travaux des communes de moins de 5 000 habitants. Le cas de l’Ariège peut également servir d’exemple.

Bref, la crise impose des changements et de l’audace. La fatalité n’a plus sa place et ceux qui attendent encore le « retour à la normale », les niveaux d’avant la crise, feraient mieux de se réveiller. Et le plus tôt sera le mieux.

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* Depuis le 1er janvier 2015, il existe les métropoles suivantes : Nice-côte-d’Azur, Rennes, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Brest, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg, Montpellier et Lyon. Celle d’Aix-Marseille-Provence et le Grand Paris verront le jour au 1er janvier 2016.


1 commentaire:

  1. Sans compter la problématique des" Travailleurs détachés": http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-testaniere/060315/33-le-btp-plombe-par-lutilisation-des-travailleurs-detaches

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