jeudi 12 février 2015

Le rapport d'évaluation de la politique du logement : une bombe politique en devenir ?

Le rapport d'évaluation de la politique du logement : une fuite orchestrée ?

Qu’est-ce qu’un bon rapport d’évaluation d’une politique publique ? D’abord, il doit concerner un thème « fédérateur », où chacun a son avis (si possible, en disant tout et son contraire). Ensuite, il  doit « ruer dans les brancards » tout en faisant des propositions drastiques d’économie budgétaire. Pour finir, une pincée de complotisme ne nuit pas.

Le rapport de la mission d’évaluation de la politique du logement est tout cela, c’est-à-dire une bombe politique. Commandée en mars 2014 par Cécile Duflot et Bernard Cazeneuve, alors Ministres du Logement et de l’Economie et des Finances, cette réflexion approfondie sur l’efficacité économique de la politique du logement est remise en juin 2014 mais dévoilée seulement par Les Echos le 30 janvier 2015. Allez savoir pourquoi…

Ainsi, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) ont reçu pour mission de passer la politique du logement au crible. En effet, celle-ci représente 46,4 milliards d’euros en 2014, soit plus de 2% du PIB, pour des résultats médiocres. Pis, les ressources consacrées augmentent en moyenne de 1% par an sur la période 2012-2017, devant atteindre 48 milliards en 2017. Et le rapport de proposer des recommandations permettant d’économiser 4 milliards par an. Rien que ça.



Un état des lieux d’un sévère manque de stratégie

Le rapport n’analyse pas seulement ces quelques mois ou années, mais toute une démarche, implémentée depuis longtemps : celle qui consiste à rajouter, chaque année, de l’argent en quantité pour des résultats pas du tout à la hauteur des enjeux. Ainsi, le rapport met en évidence (page 17) le système en présence – le cadre fiscal, juridique et de gouvernance – qui induit des rigidités de l’offre. Le manque de vision de long terme est criant alors que des tendances s’affirment, pour certaines négatives : évolution des prix de vente déconnectée de celles des salaires, hausse des loyers, offre locative insuffisante, peu de logements « pour célibataire »…

Ainsi, le foncier n’est pas rare mais difficilement mobilisable du fait de choix publics, de l’éclatement des responsabilités et d’un certain manque de priorité parfois. La fiscalité immobilière, en taxant lourdement les transactions, n’arrange rien et encourage même les phénomènes de rétention. La mobilité résidentielle s’en trouve découragée, alors que la population vieillit et/ou se « célibatérise ». Quant à la réglementation, celle-ci désavantage les bailleurs qui voient leur rendement « loyer » se réduire (taxation, encadrement des loyers…), ne les incitant pas à investir. Le rapport note d’ailleurs le retrait complet des investisseurs institutionnels de cette classe d’actifs.

Les principales propositions

Le rapport est essentiellement composé de propositions : 50 pages sur un rapport de 73 pages. Les auditeurs prennent soin d’en estimer l’impact financier – c’est-à-dire l’impact sur les dépenses budgétaires et/ou fiscales, sur les prestations sociales mais aussi sur les recettes budgétaires – et pour qui (Etat, administration publique…). Le rapport explique le contenu de la mesure mais également l’argumentaire qui amènent les auditeurs à faire cette proposition ainsi que les principales limites/difficultés de celle-ci. 
  • Les Aides Personnelles au Logement (APL).
Représentant 17 milliards d’euros annuellement, le rapport dénonce leur effet inflationniste. Ainsi, les bailleurs ajustent le loyer en fonction des aides attribuées. De fait, le rapport avance qu’il est nécessaire de resserrer les critères d’éligibilité, pas seulement en introduisant des plafonds de surface et de loyer des appartements mais aussi et surtout des plafonds de patrimoine. Ainsi, attribuer les APL à des étudiants rattachés au foyer fiscal parental sans prendre en compte le revenu des parents est ubuesque. 



NB : on notera que l’étudiante « témoin » est une élue de l’UNEF de l’université Paris Nanterre… Bravo l’impartialité chez I-Télé. 

  • Les avantages fiscaux dédiés aux investisseurs dans l’immobilier locatif.
Selon le rapport, ces avantages (2 milliards tout de même…) ont un effet haussier sur le prix du foncier et des constructions neuves… tout en étant une manne pour les intermédiaires spécialisés dans la défiscalisation. Un marché donnant-donnant serait alors souhaitable : abaisser la réduction d’impôt de 18 à 13% tout en augmentant le plafond de loyer autorisé.
  • Le Plan d’épargne logement (PEL).
Pour les auditeurs, et à juste titre, « l’épargne logement est désormais massivement utilisée comme un dispositif d’épargne sans risque très peu converti en crédits immobiliers (moins de 5% des PEL et CEL) ». Et de proposer la suppression de la prime offerte par l’Etat car « la dimension incitative apparaît désormais marginale et non susceptible de déclencher un projet d’achat ou de travaux ».
  • Les aides à la rénovation.
Les deux dispositifs, le taux à 5,5% et celui à 10%, représentent respectivement 1,7 milliards et 3 milliards par an. Or, le rapport pointe leur non pertinence car ne ciblant ni les publics qui y ont droit, ni les travaux dédiés.


Ainsi, le rapport préconise une simplification des outils existants sur la production d’une offre adaptée et une incitation à la mobilité. De même, les leviers non budgétaires doivent être valorisés tels que la simplification normative ou le renforcement de la transparence de l’information. Le rapport pointe d’ailleurs un manque criant d’analyse fine sur le sujet, faute d’outil statistique pertinent. Critique qui convient également aux problématiques immobilières. 

Pourquoi cette gabegie ? 

Le rapport met en évidence une gabegie, principalement dû à l’éclatement des responsabilités, entre l’Etat, les communes, les opérateurs publics (organismes HLM, la CDC, l’ANRU, les CROUS…) et organismes privés, sans oublier la branche famille de la sécurité sociale (qui verse des aides). Cela est dû, aussi, à la multiplication des outils d’aides et d’incitation : subventions, prestations sociales, outils fiscaux et juridiques, prêts...

Le rapport pointe les objectifs multiples, contradictoires et qui ne correspondent pas nécessairement à la vocation réelle des dispositifs. Par exemple, les dispositifs de soutien à la construction ne visent pas à accroitre l’offre de logements neufs où les besoins sont avérés… mais à soutenir un secteur dont l’emploi est non délocalisable et dont les inputs sont généralement français. Autre exemple : l’Etat promeut la décentralisation... tout en maintenant une politique active du logement.

Ce manque de logique de la politique du logement est le résultat de décennies de pilotage à vue, où chacun apportait sa pierre à l’édifice, pour en faire in fine un ouvrage bancal. Pis, alors que l’Etat se fixe pour objectif la construction de 500 000 logements, le rapport avance plutôt que la demande potentielle est aux alentours de 332 000 logements sur la période 2015-2020. Cette absence de connaissance précise de la situation induit par conséquent un biais dans la politique publique. Ainsi, l’Etat ne se focalise que sur la construction neuve, évacuant maladroitement la question de la rénovation/réhabilitation. Sans oublier que l’Etat ne connaitrait même pas le nombre précis de logements construits chaque année. Le rapport avance ainsi la sous-estimation à 28% en 2011 et 18% en 2012 ?! 

Le rapport qui n’a rien compris : vraiment ? 

Bien évidemment, les propositions du rapport sont décriées par divers acteurs. Par exemple, concernant les APL, cette proposition passe mal dans l’électorat dit « de gauche », à l’image des allocations familiales pour la droite : les APL restent un casus belli pour certains responsables politiques. Inversement, peut-on reprocher aux Français de valoriser leurs PEL/CEL comme placements rémunérateurs, dans une période de crise et de baisse des rendements d’autres produits financiers ?

Ainsi, selon l’Humanité, « au lieu de chercher des pistes pour sortir le secteur de la construction de l’impasse, le rapport ne suit qu’une logique : l’austérité ». Toutes les propositions vont dans le même sens : coupe dans les aides, surtout celles aux classes moyennes et défavorisées. De fait, le rapport ne propose rien pour résorber la pénurie de logement.

Consciente de la bombe politique qui risque d’exploser, la ministre du Logement Sylvia Pinel s’est vite désolidarisée du rapport, seulement « un document de travail » qui « n’exprime pas la position du gouvernement mais il vient contribuer à sa réflexion ». On a connu plus courageux…

Alors certes, le rapport ne voit que les coûts d’une telle politique et les économies qui peuvent être réalisées. Même Alain Dinin, patron de Nexity, qui n’a pourtant pas la langue dans sa poche, le reconnaît, dans une excellente interview dans Les Echos : « on nous dit toujours, en nous pointant du doigt, que le logement coûte plus de 40 milliards d’euros à la collectivité au travers des différents mécanismes d’aides publiques. C’est vrai. Mais le logement génère aussi plus de 60 milliards d’euros de rentrées fiscales. Le solde est largement positif ». 

Toutefois, Alain Dinin rajoute également que le système d’aides est à la fois pervers et trop complexe : il « tire les prix vers le haut en solvabilisant via certaines aides une partie des locataires et des acheteurs ». Et de proposer un « pacte de constructibilité », plus que jamais d’actualité. Celui-ci verrait un accord entre les pouvoirs publics, principaux détenteurs de terrains constructibles dans les zones urbaines où la demande est forte, et le privé qui comprimerait ses marges. Ce que propose plus ou moins le rapport… Or, ce type d’accord suppose une confiance réciproque. Une chimère actuellement.

Les organisations professionnelles, telles que la Capeb, ont également réagi à certaines propositions. En clair, pas touche aux aides/subventions, à un moment où le secteur est plus que convalescent. Augmenter le taux de TVA sur les travaux de rénovation énergétique revient à signer l’arrêt de mort d’un segment qui tient le bâtiment à bout de bras et provoquerait la perte de 10 000 à 12 000 emplois. 

Un (bon) rapport pour confirmer le statu quo ? 

Quelques jours après la sortie « non officielle » du rapport de la mission d’évaluation de la politique du logement, la Fondation Abbé Pierre, dans son vingtième rapport annuel sur le mal-logement en France, dresse le constat équivalent, certes sur un segment particulier du logement. « Les dispositifs publics destinés à favoriser l’accès au logement des ménages en difficulté se sont empilés depuis un quart de siècle », diluant les responsabilités de chacun. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la complexité alimente un système qui génère « l’incompréhension, la frustration, voire le désarroi des personnes et des professionnels ».

Aussi, le rapport de la mission d’évaluation peut être critiqué, évidemment. Les auteurs, dans leurs préconisations, pointent d’ailleurs le manque de données pour évaluer certaines propositions. Ils peuvent être taxés de « libéraux », « d’adeptes de l’austérité »… Mais la réalité fait mal. Les dernières décennies ont vu la mise en place d’un système qui ne fonctionne pas. Les responsables politiques, de gauche ou de droite, ne sont pas les seuls fautifs, les professionnels également : qui demandent les aides, subventions et autres dérogations ?

Mais le rapport doit amener des explications franches entre ces acteurs du logement afin de trouver des décisions les plus consensuelles possibles mais également les plus effectives et efficaces. Or, les prochaines semaines verront si ce rapport, comme beaucoup d’autres, va être prestement enterré dans des commissions parlementaires ou dans un « comité Gustave, un comité Théodule ou un comité Hippolyte ».

Pourtant, les solutions existent, à l’image d’une localisation territoriale plus poussée des outils dédiés au logement et de l’organisme attitré. Qui plus est que les situations locales sont très hétérogènes, avec, pour certaines, des déséquilibres durablement installés. En clair, la France ne peut faire l’économie d’une VRAIE réforme en termes de gouvernance, de fiscalité et de réglementation concernant le logement. A suivre (avec vigilance) !

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