mercredi 25 mars 2015

Logement : et si la mairie de Paris avait tout compris ?

Anne Hidalgo et Ian Brossat : un binôme efficace pour 
résoudre la problématique du logement à Paris ? (source : lefigaro.fr)

Généralement à (de ?) droite, les hommes et femmes des différents mouvements politiques aiment à rappeler leur caractère responsable, sous-entendu « pas comme ceux à gauche » qui déresponsabilisent les personnes, engendrant gabegie et rancœur de la population. Problème : le manichéisme n’est jamais très bon, tant dans l’analyse d’une situation que dans la définition de solutions en termes de politiques publiques. La question du logement n’échappe pas à cette règle séculaire, comme l’a démontré le dernier (et énième) rapport public.

Néanmoins, il reste encore des endroits, en France, où le pragmatisme est la règle. Où ça ? Au sein des mairies ! Ainsi, il ne faut pas s’étonner si le maire est le personnage politique préféré des Français. Proche des gens et généralement issu du territoire, il donne confiance et gère tant bien que mal le budget municipal. Concernant le logement, la mairie garde des marges de manœuvre pour améliorer les situations. Un exemple : Paris. La capitale focalise les problèmes : cherté des logements et des loyers, nécessité de rénovation et de construction, mixité sociale…

Loin d’une quelconque accointance politique avec la nouvelle équipe municipale, il convient pourtant de regarder ce qu’elle réalise depuis près d’un an. Ainsi, la maire Anne Hidalgo et son adjoint Ian Brossat ont su faire preuve de réalisme et de volontarisme politiques en se focalisant sur des blocages bien réels et récurrents de la capitale. Pour le bien de tous les Parisiens ?

2012-2014 : deux années de perdues

L’arrivée de Cécile Duflot au ministère du Logement devait marquer une rupture avec les politiques de droite durant une décennie mais s’est finalement résumée en un mot : cassure. Bien sûr, il est toujours plus facile de donner des bons ou mauvais points quand on est un simple observateur mais il faut remarquer une chose : on ne réforme pas seul contre tous. En effet, l’analyse des perceptions des professionnels en 2012 aurait dû pointer les urgences : urgence de relancer la construction, urgence de mettre fin à l’empilement ubuesque de normes, urgence de restaurer la confiance des acheteurs et des investisseurs…

On ne le dit jamais assez : l’économie est une affaire de doigté et de psychologie. Or, la focalisation sur l’encadrement des loyers, à tort ou à raison, n’a cessé de dégrader les relations entre les professionnels et la ministre, renvoyant l’image d’un secteur en crise et d’un gouvernement plus focalisé sur des positions idéologiques que sur la réalité. La clarté du constat dès le départ – une pénurie considérable de logements, due à une demande en forte hausse et l’incapacité de l’offre à répondre à cette demande – aurait dû permettre la création de cette union sacrée qui fait tant défaut aujourd’hui.

Le gouvernement Valls ne s’y est d’ailleurs pas trompé : l’objectif est de réamorcer la pompe rapidement, de provoquer un choc de confiance… et de renvoyer aux calendes grecques cette loi ALUR tant décriée (mais dont certaines dispositions mériteraient d’être actées). Toutefois, loin d’être bazardée, celle-ci « continue de faire polémique et laisse les bailleurs et les locataires dans le flou, favorisant les incompréhensions. Entre les mesures détricotées ou en cours de détricotage, les décrets publiés et ceux en attente », tous les acteurs campent sur leurs positions.

Le logement et l’UMP : what else ?

Qu’en est-il à droite ? L’UMP, fidèle à l’ADN du parfait opposant, s’oppose. A quoi ? A ce qui horripile son électorat. Par exemple, Cécile Duflot qui est, pour Nicolas Sarkozy, la « pire ministre du Logement » de la République. Effet garanti. Ensuite, concernant la loi Alur, qu’il faut « abroger ». Cocasse quand on sait qu’il y a actuellement seulement 13 décrets sur 80 qui ont été publiés.

Finalement, le travers de l’UMP – qui n’est pas exclusif à ce parti – reste une vision biaisée et doctrinale des choses. Bref, de la politique à la française. Il faut occuper le terrain médiatique mais avec, malheureusement, des mesures simplistes qui n’amènent pas grand-chose au débat… mais beaucoup au brouhaha médiatique. Ainsi, pour l’heure, leur contour précis reste très flou. Idem pour les propositions de François Fillon, candidat annoncé à la primaire. 



Marc-Philippe Daubresse, secrétaire général-adjoint de l’UMP,
propose un « choc de l’offre » pour résoudre la question du logement

Un rapport récent du Conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances avait pourtant bien posé le problème et les pistes pour s’en sortir. Pourquoi ne pas l’avoir pris en compte ? Parce qu’il dresse un bilan des mandatures de la droite ?

Vers une politique du logement à la main des métropoles ?

Et si on supprimait le ministère du Logement pour s’orienter vers une localisation territoriale plus poussée des outils dédiés au logement, à savoir les métropoles et les départements ? En effet, en regardant de plus près ce qui se fait à Paris, des dispositifs pourraient être généralisés à d’autres villes.

Anne Hidalgo le dit d’ailleurs clairement : il faut « agir sur l’ensemble de la chaîne du logement, du logement social pour les catégories populaires et les petites classes moyennes, au logement du secteur privé, en passant par les logements intermédiaires destinés, par exemple, aux foyers où chacun dans le couple gagne environ 3000 euros par mois avec un enfant, car ceux qui font tourner la ville doivent naturellement pouvoir y vivre ». Il n’y a donc pas un levier mais des leviers à actionner, en parallèle, afin de restaurer la confiance et la transparence.

  • La construction de logements : mobilisation du foncier comme priorité
Les tensions sur l’immobilier sont telles que le logement est une priorité, notamment le logement social. Ainsi, Anne Hidalgo souhaite mettre à disposition 10 000 logements par an, dont 7 000 HLM. Pour ce faire, la mairie se focalise autant sur la mobilisation du foncier de l’Etat ou des entreprises publiques (LA priorité) que de la transformation de 200 000 m2 de bureaux en logements, durant sa mandature. Les leviers sont donc variés : construction, rénovation/réhabilitation et transformation.

Par ailleurs, la mairie fait de l’homogénéité de la capitale une priorité. Fini l’Est parisien qui concentre les logements sociaux et un Ouest et Centre « épargnés ». Ainsi, le 16ème arrondissement, qui compte un peu moins de 4% de HLM ainsi que la plus faible densité de population, aura lui aussi des logements sociaux. En outre, les sites concernés ne concentreront pas seulement des logements sociaux mais également 20% de logements intermédiaires et 20% d’accession. Quant à leur mise à disposition, le scoring servira à mieux gérer les priorités tout en permettant transparence et donc acceptation de la part des Parisiens.

  • La location et le ciblage des classes moyennes : le dispositif Multiloc
Les classes moyennes ne sont pas oubliées, heureusement. Le dispositif Multiloc, lancé courant mai, vise à remettre sur le marché les logements vacants, estimés à 40 000, du fait de la crainte des propriétaires à s’engager dans un bail. On voit là tout le travers d’une économie de rente : les prix de l’immobilier sont tels qu’ils engendrent la rétention d’un actif plutôt que sa valorisation, la première étant tout aussi rémunératrice (voire plus) que la seconde.

De plus, ce dispositif vise également à permettre aux classes moyennes de payer des loyers à un prix inférieur de 20% par rapport au niveau médian dans le quartier. Ainsi, Multiloc cherche à minimiser/supprimer cette réalité qui fait que de nombreuses familles parisiennes gagnent trop pour pouvoir espérer un logement social mais dont le pouvoir d’achat est actuellement rogner de façon dramatique par le loyer. Aussi, Multiloc offre des garanties et incitations aux propriétaires, une sorte d’assurance ou plutôt une prime à la confiance : prime d’entrée dans le dispositif (2 000 euros), gestion locative professionnelle, prise en charge de la garantie contre les risques locatifs (350 euros), prime travaux pour remettre en état et embellir le bien (jusqu’à 7 500 euros, si le logement remis en location était vacant depuis plus de six mois), prise en charge d’une partie des diagnostics techniques obligatoires en location (250 euros) et participation à l’achat de détecteurs de fumée.

Bien sûr, le coût de ce genre de politique est souvent sujet à débat et, selon la mairie, celui-ci serait compris entre 6000 et 14 000 euros par logement, selon la surface. En tout cas, une enveloppe de 3 millions d’euros est prévue dans le budget supplémentaire 2015. Mais en prenant une fourchette basse, 6 000 euros X 40 000 logements = 240 000 000… A suivre.

  • Encadrement des loyers : ça avance… doucement
Au-delà du dispositif Multiloc qui permet une décote de 20% du prix des loyers, il y a le serpent de mer de l’encadrement des loyers. Pas tant le concept, que la conception. Le débat est sans fin et va sans doute continuer. En effet, l’encadrement des loyers sera mis en pratique à partir de début juillet à Paris, après que le décret d’application soit publié en mai. L’OLAP va avoir du travail… et des arguments à avancer quand l’organisme va publier le loyer de référence pour chacun des 80 quartiers parisiens ainsi qu’un loyer majoré de 20 % qui constituera le plafond à ne pas dépasser.

Les professionnels sont vent debout… alors que l’aventure parisienne n’est pour l’instant qu’à titre « expérimentale » et que les baux actuels ne seront pas révisés. Il n’en reste pas moins que le dispositif est attendu par les Parisiens, y compris par les classes moyennes, le logement étant une problématique constante de leur quotidien.

  • La valse avec Airbnb
La mairie doit jongler avec ce paradoxe. Ville touristique au patrimoine inégalé, elle attache une importance continue à l’infrastructure hôtelière et locative de haut niveau. Ce qui ne l’empêche pas de penser au(x) futur(s), d’où la volonté de faire de Paris un hub mondial de la high tech… tout en étant conscient des risques de voir cette économie du partage ET de la prédation s’installer. Airbnb personnifie ce paradoxe et la mairie doit ménager cet acteur : d’une main, elle câline la plateforme incontournable du tourisme mondial, qui lui rend bien puisque Paris est sa première destination ; De l’autre, elle cible Airbnb, qui renforce le phénomène d’explosion des meublés touristiques, facteur d’aggravation de la crise du logement. En clair, Airbnb facilite ce phénomène protéiforme et exponentiel, et il est bien plus simple et efficace de viser l’outil qui permet cette déviance que de faire la chasse à ceux qui en profitent.

La mairie de Paris a donc bien conscience de sa fragilité mais aussi de sa force. A ce titre, un petit tour dans la Silicon Valley est révélateur de ce nouveau contexte, à la fois concurrentiel et sociétal. En effet, regardez comment vit la majorité des habitants de la conurbation californienne. Derrière la « belle vie » des ingénieurs de chez Google, Facebook ou Apple se cache des problématiques ardues pour la population et les pouvoirs publics.


Ainsi, le vivre ensemble est sans doute le grand défi urbanistique actuel. Et pour y répondre, pas sûr qu’un ministère du Logement ou de la Ville soit adéquat. En effet, le volontarisme politique devrait être laissé aux villes et grandes agglomérations, soutenues dans leurs projets par des instruments financiers déjà existants, au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations par exemple. Les actions de la mairie de Paris sont, à ce titre, intéressantes. Peut-être pas la panacée – l’avenir le dira – mais elles ont le mérite d’exister. Quant à ceux qui s’opposent à ces actions, sachez que les critiques n’ont jamais fait une politique. Pour cela, il faut de la réflexion… et de la constance. A méditer. 


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