mercredi 22 avril 2015

Qu’attendre du rapport de la Cour des comptes sur le logement en Île-de-France ?

Dernier rapport avec des changements profonds ? (source : ouest-france.fr)

Juridiction financière faisant autorité concernant les finances publiques, la Cour des comptes s’en est allé de son rapport sur le logement, se focalisant sur la région Île-de-France. Sans surprise, elle démontre l’incohérence des politiques, étalée sur les deux dernières décennies. Ainsi, pour résumer, tout n’est pas qu’une question d’argent mais surtout de coordination et de ciblage.

Bien évidemment, le rapport a été diversement accueilli mais beaucoup en ont fait – à tort ou à raison – une analyse politique, pour ne pas dire mesquine. D’une part, en avançant que la politique est inefficace. En ces temps de défiance vis-à-vis des élus, le rapport est du pain béni pour ceux qui dénoncent les « incompétents et les parasites ». D’autre part, en renouvelant leurs critiques sur le logement social, synonyme de « profiteurs du système ». Ce qui est loin d’être le cas.

Ainsi, à l’image du rapport de la mission d’évaluation de la politique du logement, celui de la Cour des comptes, parce qu’il fait une analyse rigoureuse de la situation, mérite une lecture attentive. Loin d’être un énième rapport, l’intérêt porte surtout sur les réponses des administrations, organismes et collectivité concernés, démontrant une certaine proximité des constats de chacun sur le sujet et des propositions pour remédier à ces problèmes. De fait, une question légitime se pose : qu’attendons-nous pour les mettre en œuvre ?

Des politiques peu efficaces

La Cour des comptes audite une région où se cristallisent les tensions concernant le logement : demande forte, offre moins dynamique qu’en province, prix élevés des terrains à bâtir, loyers élevés et forte disparités de ceux-ci entre les secteurs locatifs privé et social. Conclusions : des cas de suroccupation des logements beaucoup plus fréquents qu’en province, un apport nécessaire beaucoup plus important pour pouvoir devenir propriétaire et un engorgement du parc social. Ainsi, « plus d’un tiers des locataires du parc privé ne sont pas logés dans le parc social » alors que leur revenu est inférieur au plafond de ressources exigé pour avoir accès aux HLM. L’état des lieux est sans concession alors que l’Etat et autres organismes franciliens dépensent 6 milliards par an !




Ainsi, la Cour des comptes démontre que l’empilement des instruments de planification et des échelons de décision nourrit l’inefficacité. Par exemple, puisqu’il n’y a pas d’obligation de construction, pourquoi les objectifs fixés chaque année seraient-ils tenus ? Pis, pourquoi, dès lors, en fixer ?

Logement social : beaucoup d’argent pour peu de résultats

Même si la Cour note la forte impulsion de l’Etat et des collectivités territoriales depuis 2010, ceci ne s’accompagne pas de résultats à la hauteur des espérances… et des montants investis. Tout en précisant que l’Île-de-France représente tout de même dorénavant la moitié des aides nationales à la construction de logements locatifs sociaux, la Cour observe que les bailleurs sociaux, du fait de la diminution des aides publiques et des coûts de construction élevés, ne privilégient qu’un certain type de logement (prêt locatif social) au détriment d’habitats qui seraient dédiés aux plus pauvres (logement de type prêt locatif aidé d’intégration). Les bailleurs, et indirectement l’Etat et les collectivités, délaisseraient donc des populations les plus demandeuses de logement à loyer très modéré pour privilégier des populations qui pourraient payer un peu plus, ce qui permettrait de réduire le coût des projets.

En outre, l’obligation pour les communes d’avoir 25% de logements sociaux (article 55 de la loi SRU) a pour effet d’amener les municipalités « à acquérir et conventionner des logements existants pour leur donner un statut social, sans accroissement de l’offre globale, ni modification du peuplement quand les immeubles étaient occupés ». Ainsi, même si l’Île-de-France est la région qui respecte le mieux l’article 55, il n’en reste pas moins que les moyens pour y arriver sont de courte vue, les tours de passe-passe administratif induisant un renforcement des phénomènes de ghettoïsation.

Les règles d’attribution du logement social : sclérose et rancœur 

La Cour des comptes pointe trois problèmes concernant le logement social : le choix des locataires est peu transparent ; le mécanisme de surloyer n’est pas efficace ; la règle du maintien dans les lieux est, dans certains cas, scandaleuse.

Ainsi, que les règles d’attribution des logements sociaux soient peu rigoureuses ne sont en aucun cas une information nouvelle. Au mieux une énième remontrance qui permet de pousser plus loin la méthode de scoring : pas la panacée mais toujours mieux que l’attribution au petit bonheur la chance ou selon les affinités politiques.

L’intérêt du rapport concerne plutôt la gestion des logements sociaux, précisément les garanties de maintien dans l’habitation et la faible modulation des loyers en cas d’augmentation des revenus. Autrement dit, la Cour propose de mettre en place une progressivité des loyers. Et il y a urgence (financière et politique). En effet, elle estime à 760 000 le nombre de logements sociaux en Île-de-France (sur un peu plus de 4 millions) où les locataires devraient payer beaucoup plus. Et de prendre l’exemple du bailleur France Habitation, qui gère 43 000 logements, et dont 10 % des locataires dépassent les plafonds de ressources donnant droit à un logement social.

Ainsi, la question du logement, social ou non, étant (aussi) affective – des personnes, avec de moindres ressources à un moment de leur vie, obtiennent un logement social mais ne souhaitent pas le quitter ensuite – une « vraie » progressivité des loyers serait une bonne préconisation pour rendre acceptable la situation, de la part du locataire mais aussi du bailleur. Il faut ainsi se rendre à l’évidence quand on voit le faible taux de mobilité. « 51 % des locataires occupent un HLM depuis plus de 10 ans, contre 8 % depuis moins de 2 ans en Île-de-France, à comparer respectivement aux 41 % et 14 % relevés en province ». De plus, cela permettrait de renforcer la mixité sociale. 

Logement privé : ne pas trop fâcher le propriétaire

A en croire le rapport, les mesures concernant le parc privé sont contrastées. En lisant entre les lignes, il s’avère que les différents gouvernements, pour ménager la classe moyenne propriétaire (ou en passe de l’être), ont fait de la politique à la petite semaine. Par exemple, la taxe sur les logements vacants, appliquée dès 1999, est peu dissuasive. De même, les aides fiscales représentent – comme de coutume – un coût élevé et un effet d’aubaine du fait d’un ciblage insuffisant. Toutefois, le pire, constaté par la Cour, est que ces aides sont constamment reconduites et ce, alors qu’elles n’ont pas eu l’effet espéré en termes de modération de loyer.

De plus, près de 80 % des prêts à taux zéro sont utilisés pour l’acquisition dans l’ancien, nourrissant la dynamique de hausse des prix sans réussir à déclencher un renouvellement de l’offre en construction neuve. Toutefois, le rapport de la Cour note que les décisions de réserver les aides au neuf depuis janvier 2012, sous conditions de ressources, semblent aller dans le bon sens. Quant à l’idée de transformer des bureaux en logements, elle est intéressante… mais peu rentable.

Les réponses des acteurs

Un rapport de la Cour des comptes reçoit, préalablement à sa publication, les réponses et commentaires des administrations, organismes et collectivités concernés (pages 167-224, en annexe du rapport complet). Concernant celui sur le logement, il apparaît que ceux-ci – qu’ils soient des ministères, des agences publiques ou des mairies – font à peu près le même constat même si sans le dire ouvertement : faible efficacité des systèmes mis en œuvre, manque de coordination… Et donc, les objectifs sont difficilement atteignables dans ces conditions.

Ainsi, les ministères concernés (Intérieur, Economie, Logement…) avancent que les dernières lois sur le logement (sous-entendu, depuis un an) vont dans le sens des préconisations du rapport tandis que les agences publiques justifient leurs actions au regard des préconisations de la Cour. En clair, « les préconisations sont parfaites et c’est d’ailleurs ce qu’on est en train de mettre en œuvre ».

Inversement, la réponse de la Mairie de Paris est plus véhémente, défendant les actions engagées depuis l’arrivée d’Anne Hidalgo, ce que la Cour ne semble pas avoir pris en compte. De même pour Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, qui profite du rapport pour avancer, de manière factuelle, qu’il n’est pas opposé au logement social.

Peu de contestation donc sur l’analyse de la Cour des comptes, ni sur les préconisations d’ailleurs. Pourquoi, dès lors, autant de difficultés à les appliquer ?

Le grand saut politique ?

Le rapport de la mission d’évaluation de la politique du logement dressait un constat identique il y a quelques mois. Pour la Cour, il est nécessaire d’un « rapprochement du périmètre des futures intercommunalités franciliennes et de celui des divers instruments de planification, de programmation et de contractualisation de l’offre de logement ». Et d’enfoncer le clou : « il serait également cohérent qu’après les programmes de l’habitat et les plans d’urbanisme, ces intercommunalités deviennent à terme compétentes pour délivrer les permis de construire ».

En clair, elle propose de donner des prérogatives renforcées aux intercommunalités, appelées à se développer en Île-de-France et ailleurs en France, et ce, au détriment des mairies. Il est vrai qu’avec 36 000 communes, la France ne peut faire l’économie d’une vraie réforme territoriale, avec un écrémage des niveaux administratifs. Avec, évidemment, la continuelle question de la remise en cause du pouvoir des élus locaux, et donc du citoyen. Mais cette méthode semble la seule adéquate pour trouver des solutions à une préoccupation majeure des Français : le logement.

Aussi, la création de « super communes » serait une solution intelligente, avec la fonction du maire renforcée. Dans le rapport de la Cour des comptes, Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, ne s’y trompe pas en disant que « le maire garde une légitimité politique forte, à même de susciter une plus forte adhésion locale aux projets de construction menés ».

De fait, la fusion des quatre établissements publics fonciers existants en Île-de-France en un seul établissement, qui sera effective au 31 décembre 2015, va dans le bon sens. Avec le Grand Paris. Plus généralement, cette question apparaît légitimement : et si le schéma d’organisation de la politique du logement était laissé à la main des métropoles ? A bas le ministère du Logement vous avez dit ?


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