mardi 12 mai 2015

Tesla Powerwall : un verrou de moins pour développer l’autoconsommation


Tesla Powerwall : Elon Musk cible l'énergie... et la construction (source : greenunivers.com)

Quel secteur d’activité croit encore être à l’abri des révolutions technologiques ? Internet est une source permanente de disruptions tous azimuts, redéfinissant les places et rôles de chacun : leaders historiques, consommateurs… sans oublier le régulateur. Ces transformations, initiées ou subies, sont déjà observables dans le secteur de la construction. La maquette numérique bien sûr, mais aussi la domotique, où de nouveaux acteurs adossés aux géants de l’Internet imposent normes et manières de concevoir. Les transformations sont également dans les usages : Internet remet en cause la manière d’acheter et de vendre, laissant certains agents immobiliers dans l’embarras. De même, le crowdfunding se développe à une vitesse telle que les banques commencent à s’inquiéter pour leur modèle d’activité.

Rentiers et oisifs ont donc du souci à se faire. En effet, la mentalité « Silicon Valley » n’est plus seulement observable dans le seul secteur de l’informatique. Internet étant une nouvelle révolution mondiale, tant industrielle que culturelle, elle impacte dorénavant des secteurs qui se croyaient protégés. La dernière salve d’Elon Musk est là pour nous le rappeler. Au-delà de l’aspect technique du produit, il y a toutes les retombées – positives et négatives (selon le point de vue) – qu’il faut analyser. Et la psychologie de l’individu, ainsi que ses divers projets, devraient en inquiéter plus d’un dans l’énergie… et le BTP.

Elon Musk, de l’envie plus que du génie

Loin de faire le panégyrique de l’archétype du Silicon Valley Boy, il faut remarquer qu’Elon Musk a les codes pour jouer brillamment sur les perceptions. Sûr de lui et de son produit, il n’hésite pas à s’attaquer à des secteurs capitalistiques (automobile, spatial), jugés hors de portée du fait des nombreuses barrières à l’entrée. L’incrédulité des acteurs des secteurs mentionnés ainsi que sa force de persuasion font le reste pour attirer investisseurs et clients.

Chaque projet est en lui-même une révolution packagée dans la ritournelle « sauvez le monde » (avec les voitures électriques Tesla Motors), « vivez vos rêves de gosse » (avec la fusée SpaceX) et plus sûrement « sus aux rentiers » ! Imperturbable, l’entrepreneur est également un communicant hors pair. En mars 2006, devant le petit monde de l’industrie spatiale, il n’hésite pas à se présenter ainsi : « salut à tous, je m’appelle Elon Musk, je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts ». L’humour est toujours la moitié de ce que l’on pense… même s’il faudra un peu plus de temps pour tuer la concurrence. Il n’en reste pas moins que les acteurs historiques – dont les Européens – ont dû rapidement trouver des parades pour contrer cette offre low-cost mais techniquement avancée.

Le stockage, nerf de la guerre énergétique à venir 

Les experts nous le disent : le stockage électrique reste le graal à atteindre. Et Elon Musk compte bien bouleverser « la totalité de l’infrastructure énergétique dans le monde » grâce à sa batterie lithium-ion rechargeable dénommée Tesla Powerwall. Celle-ci stockerait l’électricité fournie par des panneaux solaires ou par le réseau électrique. De plus, elle est discrète et fixable sur le mur. Pour finir, le prix actuel est abordable mais va sans doute baisser du fait de la construction de Gigafactory, l’usine géante au Nevada. De fait, Elon Musk compte bien inonder le monde avec sa dernière trouvaille, déjà en rupture de stock jusqu’à mi-2016.



Certes, beaucoup ont critiqué les capacités techniques de la batterie Tesla Powerwall, certains avançant qu’elle n’est qu’un nouveau jouet pour riches écolo, à l’image des voitures Tesla. Mais l’intérêt d’Elon Musk n’est-il justement pas de déclencher une prise de conscience en proposant un produit abordable quoique critiquable. Oui, la batterie n’est pas parfaite. Comme l’iPhone quand il est sorti en 2007. Mais l’objectif est d’amener consommateurs, investisseurs et inventeurs à s’intéresser à la batterie Tesla Powerwall afin de l’améliorer. Le modèle de développement – selon la méthode Silicon Valley – est d’être le premier à sortir le produit, même imparfait, puis de capitaliser sur les remontées d’informations tout en soignant la communication. On créé une niche, qui croit graduellement, pour finir par être une référence du secteur, voire la seule. Dès lors, les acteurs historiques de l’énergie mais aussi de la construction ont du souci à se faire. 

La batterie, la brique qui manque au dispositif 

Elon Musk n’est pas le premier à fabriquer des batteries, ni d’avoir imaginé de les coupler à des panneaux photovoltaïques… Mais sa solution est simple. Le professeur Philippe Silberzahn le dit de manière limpide : « une fois de plus, la vraie rupture ne réside pas dans une performance technique pure, mais dans une combinaison de performance technique suffisante et de simplicité d’utilisation. La batterie de Tesla, comme la Ford T avant elle, c’est mettre une technologie existante, déjà utilisée par quelques experts, au service du plus grand nombre ».

Or, derrière le produit, il y a une révolution des mentalités… et des business modèles. En France, le centralisme énergétique – tant technologique que politique – a mis au centre du jeu EDF et ses centrales nucléaires ainsi qu’un modèle productiviste. Avec la batterie, on met en avant l’autonomie des bâtiments disposant de sources de production énergétique (comme le photovoltaïque), que cela soit dans les pays développés ou dans les pays en développement. La batterie est synonyme de la fin du monde ancien. En clair, dorénavant, le consommateur peut dire à son fournisseur : je n’ai plus besoin de vous.

Bien évidemment, les utilities ont déjà pris conscience de cette rupture. Elles ne se voient plus comme simple producteur d’électricité mais également – et de plus en plus – comme fournisseur de services énergétiques. La mainmise d’EDF sur Dalkia France a pour objectif de développer une offre de conseil en efficacité énergétique vis-à-vis des particuliers et entreprises, c’est-à-dire de proposer des solutions pour consommer moins, ce qui va à l’encontre du programme électronucléaire français basé sur l’offre croissante d’électricité bon marché. Ainsi, les utilities ont bien conscience de cette schizophrénie ambiante… et Tesla Powerwall ne va rien arranger. 

Vers la généralisation de l’autoconsommation ? 

Le stockage est une brique essentielle d’un système d’autoconsommation. Or, avec la batterie Tesla Powerwall, ce verrou technologique et fonctionnel saute. Ainsi, avec ses batteries, Elon Musk s’intercale entre les producteurs et les consommateurs, en s’alliant indirectement avec les fabricants et installateurs de panneaux photovoltaïques (en fait, son cousin Lyndon Rive… mais chut…). Alors que 20 à 40 % ‘seulement’ de l’électricité d’une maison individuelle pourrait être autoconsommée, les batteries incitent un propriétaire d’un bâtiment industriel ou d’habitation à mettre en place des sources de production énergétiques pour tendre vers l’autonomie. En effet, comme nous le disions il y a 18 mois, l’autoconsommation pure n’est pour l’instant qu’un fantasme. Mais les batteries Tesla Powerwall permettent de tendre vers cette amélioration constante du taux d’autoconsommation.

Quant à la France, ces « disruptions » induisent indirectement la mise à jour du cadre réglementaire relatif à l’autoconsommation, à replacer dans le cadre du débat sur la transition énergétique et de la place – centrale – du bâtiment dans celle-ci. Comme le rappelle Marc Jedliczka, directeur de l’association Hespul, « derrière la question de l’autoconsommation se cache le fait qu’ErDF, la filiale d’EDF qui gère 95% des réseaux de distribution, est culturellement réticente à accueillir le photovoltaïque. Certes le réseau a été construit historiquement de manière ‘descendante’, mais il lui faut maintenant apprendre un nouveau métier : collecter les productions décentralisées ».

Toutefois, les choses évoluent. En effet, le groupe de réflexion sur l’autoconsommation, mené par la DGEC, a proposé diverses recommandations qui serviront de base au gouvernement pour définir un futur cadre réglementaire. Tout le monde s’accorde à dire que l’industrie et le tertiaire sont là où se trouvent les gisements de développement. Toutefois, la batterie Tesla faisant la jonction entre le monde de l’énergie et celui de la construction, il y a fort à parier qu’Elon Musk garde une longueur d’avance sur le régulateur… et les acteurs historiques.


Avec sa batterie, Tesla ne se pose pas seulement comme acteur du stockage électrique mais également comme concepteur et gestionnaire de l’infrastructure énergétique au niveau du bâtiment, et pourquoi pas, à terme, au niveau local (quartier ? Ville ?). Sans doute Elon Musk pense déjà aux services qu’il va pouvoir vendre en s’appuyant sur sa batterie, lui permettant d’engranger des profits considérables tout en façonnant l’avenir. Comme l’a finalement réalisé Apple avec l’iPhone ou Nestlé avec ses capsules Nespresso, en créant leur propre écosystème. Au détriment de qui ?

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1 commentaire:

  1. Ce qui rend possible ce que certaines théorisations avaient déjà anticipé :
    Rumpala Yannick, « Formes alternatives de production énergétique et reconfigurations politiques. La sociologie des énergies alternatives comme étude des potentialités de réorganisation du collectif », Flux 2/2013 (N° 92) , p. 47-61

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