jeudi 20 février 2014

Inflation normative et coût de la construction : de la simplification à la mystification ?

Les normes d'accessibilité aux personnes handicapées dans le bâtiment :
un facteur de hausse des coûts de construction à assumer ! (crédit : MAXPPP)
La normalisation des bâtiments, notamment en ce qui concerne les normes handicap, donne parfois lieu à des scènes cocasses, comme dans ce logement social en Angleterre, où la municipalité n'a pas trouvé d'autre solution pour faciliter l'accès des personnes en fauteuils roulants que d'installer une rampe de 60 mètres de long répartie sur dix niveaux, pour un montant de 40 600 £ (environ 50 000 €) ! En réalité, l'histoire prête difficilement à sourire en France, car le débat sur le poids croissant des normes dans le prix de la construction inquiète autant les professionnels de la construction que les promoteurs, les primo-accédants ou encore les associations de lutte contre le handicap ou celles pour la protection de l'environnement. Il faut réduire le millefeuille réglementaire, dit le gouvernement, mais est-ce bien souhaitable et surtout, à quel prix ?

François Hollande l'a répété le 10 janvier dernier lors de son déplacement à Toulouse : "Notre ambition doit être de simplifier pour construire plus et pour construire plus vite". Et moins cher, serait-on tenté de rajouter. Car selon Cécile Duflot, il existerait plus de 3 700 normes qui alourdissent considérablement les travaux de construction et ralentissent les délais d'obtention des permis de construire comme de construction. L'objectif d'ici à cinq ans est donc d'alléger ce corpus normatif pour "réduire de 10% le coût de la construction de logements collectifs". Dans ce contexte, le choc de simplification serait donc la solution la plus efficace pour répondre à la pénurie plus ou moins importante de logements en France.

L'inflation réglementaire, un ennemi...

Selon les chiffres du Ministère de l'égalité des territoires et du logement, le coût de la construction pour le logement est ainsi passé de 1 287 € HT/m2 en 2007 à 1 501 € en 2012, soit une hausse de 16%. Le coût de la construction pour les autres types de bâtiment a, quant à lui, connu une augmentation semblable de 16%, passant de 1 100 € HT/m2 en 2007 à 1 283 € en 2012. Pour les huit organisations du secteur du bâtiment, FFB et USH en tête, le responsable est connu : c'est l'inflation normative, qui serait à l'origine de cette hausse de 15 à 20% du coût de la construction.

Effectivement, l'inventaire des normes en vigueur dans le bâtiment révèle une liste dont la profondeur donne le vertige : protection incendie, normes sismiques, acoustiques, thermiques, sanitaires et accessibilité... L'avalanche des réglementations offre un empilement de mesures et d'obligations contraignantes, dont certaines, inutiles ou contradictoires, confinent parfois au délire. L'exemple des deux parkings par logement, cité par Nordine Hachemi, PDG de Kaufman et Broad, ou des quatre armoires à fibre optique (une par opérateur) entre (un peu) dans cette catégorie.

...un peu trop commode

Pourtant, Didier Ridoret, président de la FFB, faisait une analyse plus nuancée des évolutions du coût de la construction lors du colloque Anil-FFB-CAPEB de 2011. Selon ce dernier, l'augmentation des coûts de la construction depuis dix ans a été "porté[e] par la hausse du prix des matériaux (+71% en dix ans), par la flambée des prix de l’énergie (+60% en 10 ans) et par la hausse des salaires et des charges (+40% sur la même période). Le matériel et les transports ont eux aussi augmenté de plus de 20% dans le même laps de temps". Aussi, si la hausse des coûts des matériaux ou des hausses de salaire peuvent être en partie imputée à l'inflation normative - main d'oeuvre mieux formée (et donc plus onéreuse) à ces nouvelles techniques, matériaux plus performants - cette dernière n'est sûrement pas le seul facteur !

Deux remarques peuvent d'ailleurs être faites à ce sujet. D'une part, la réflexion de Didier Ridoret est à ce point paradoxale qu'elle omet de préciser que certaines normes ont justement pour but d'améliorer les performances énergétiques des bâtiments, et donc de réaliser des économies ! Certes, le coût de la construction est plus élevé, mais il est censé être rentabilisé à moyen et à long termes par les économies d'énergies réalisées. Qui plus est, selon un rapport de l'ENA de 2011, les surcoûts s'atténuent à moyen terme grâce à "l'effet d'apprentissage, la standardisation et l'innovation". D'autre part, les entreprises du bâtiment, que représente la FFB, ont leur part de responsabilités dans l'inflation normative, via notamment des actions de lobbying qui vise à faire adopter des normes qui consacrent leurs produits, plus performants, au détriment de leurs concurrents. On placera sous le sceau de l'évidence les économies que réaliserait la Sécu si elle ne devait pas indemniser les victimes de l'amiante ou d'empoisonnements au plomb...

Le choc de simplification peut-il réellement répondre à la pénurie de logements ?

Malgré tout, pour le gouvernement et les professionnels du bâtiment, l'inflation réglementaire demeure le principal frein à l'objectif des 500 000 logements, censés pallier à la pénurie française. Cependant, une étude du CSTB citée par le blog Habitat Durable montre que le surcoût lié à l'intégration des normes serait évalué en moyenne à 2,7% du prix des maisons (hors terrain) et à 3,8 % du prix des bâtiments collectif. En ce qui concerne les coûts supplémentaires liés à la mise en place de la RT 2012, ils seraient de l'ordre de 5 à 7%. Une hausse modérée à remettre en perspective avec l'augmentation des coûts de la construction et des prix de l'immobilier.

De plus, on peut légitimement se demander qui paye le prix de l'inflation normative : sont-ce réellement les constructeurs et les promoteurs ? Ces derniers répercutent pourtant les coûts dans le prix final du logement. Or, si l'on se place du point de vue du particulier ou de l'acheteur final, le coût de construction est rarement considéré seul, il faut y ajouter le prix du foncier. Or, le surcoût lié aux normes varie énormément en fonction des prix du foncier : de l'ordre de 4 à 24% pour une maison BBC en 2011, selon une étude de Xerfi sur les prix de l'immobilier. La différence provient essentiellement de la part du foncier dans le montant final. Plus la zone est dense, plus le foncier est cher, et donc plus la part du surcoût diminue, et inversement. Cela s'explique par le fait qu'il y a moins de demandes de logements certifiés dans ces zones, et donc une pénurie de sociétés formées sur les nouvelles normes, ainsi qu'un éventail de solutions à des prix très variables. Des dispositifs, comme l'éco-conditionalité, devraient permettre d'accentuer encore la baisse du surcoût des normes environnementales à moyen terme. Ces éléments sont révélateurs de l'illusion entretenue par le choc de simplification, qui ne résoudra sûrement pas à lui seul la crise du logement, étant donné que ces effets sont bien moins importants que rapportés par les organisations du secteur. Les facteurs qui dissuadent les particuliers et les collectivités d'investir sont donc moins le surcoût normatifs que l'augmentation globale des prix et l'atonie du contexte économique.

La nécessité des normes

Quand on évoque le choc de simplification, les vertus de la normalisation sont rarement évoquées. Pourtant, elles ont contribué à améliorer considérablement la qualité des bâtiments et des habitations en France. Les récents événements climatiques le prouvent, surtout lorsque l'on compare les dégâts au Royaume-Uni et en Bretagne. Les normes liées aux zones inondables et sismiques ont probablement évité bien des catastrophes. Le choc de simplification est une mesure simpliste, qui tend à faire croire qu'il existe en France une inflation normative. Si effectivement il existe des doublons et des mesures contradictoires qui mériteraient d'être adaptées en fonction des régions et des situations, afin d'éviter la généralisation à tous les bâtiments de normes sismiques par exemple, ces derniers sont rarement à l'origine des surcoûts. Les supprimer permettraient seulement une meilleure lisibilité.

Dans ce contexte, la question des normes handicap projette la problématique d'une dimension technique à une dimension sociale. On peut largement comprendre le point de vue des associations de lutte contre le handicap, qui s'opposent, via un site Internet et une pétition intitulés "N'écoutez pas les lobbies", au lobbying mené par les associations professionnelles du bâtiment pour supprimer une partie de cette réglementation. Si effectivement des ajustements sont nécessaires, et si d'autres moyens d'incitation que les normes sont peut-être à mettre en oeuvre, l'accessibilité est un enjeu majeur pour le bâtiment aujourd'hui, mais également pour la société. Et il ne faudrait pas que l'épouvantail de la surnormalisation soit un outil commode pour faire augmenter les marges, plutôt que faire baisser les prix...

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