jeudi 13 mars 2014

Passiv'Haus ou le génie allemand de la normalisation

Le deuxième maison certifiée Passv'Haus en France en 2010 (crédit : blog.reflexdeco.fr)
Passiv'Haus. Ce nom allemand n'est pas plus inconnu en France qu'il ne laisse indifférent. Car si le BBC, grâce à la RT 2012, s'est inscrit comme le label de référence en matière de performance énergétique des bâtiments, de nombreux opérateurs ont déjà les yeux tournés vers la prochaine étape de cette lutte contre le gaspillage : le bâtiment passif. Or, dans ce domaine, la certification Passiv'Haus est devenue depuis belle lurette une référence en Allemagne et en Scandinavie, et commence à faire peu à peu des émules en France. Mais ce développement ne se fait pas sans grincement de dents, tant le modèle allemand, si rigoureux, apparaît lourd et coûteux. Entre le BBC et le nouveau venu Bepos, que cache le label Passiv'Haus qui souhaite s'inscrire comme une étape vers la RT 2020 et les bâtiments à énergie positive ?

Le Passiv'Haus, concept de bâtiment très basse consommation signifiant "maison passive", est loin d'être si nouveau. Il s'inspire en effet des normes Niedrigenergiehaus (littéralement "basse consommation"), parues dans les années 1970 en Allemagne et destinées à l'habitat dans les pays froids. Les principes du Passiv'Haus ont été clairement définis en 1988 par deux universitaires, le Suédois Bo Adamson et l'Allemand Wolfang Feist. La première maison passive a ensuite été construite selon ces critères dès 1990 à Darmstadt, dans le Land de Hesse, permettant de réaliser une économie de 90% des besoins énergétiques destinés au chauffage par rapport aux performances de l'époque. 6 ans plus tard était créé le Passivhaus Institut, un organisme de certification des habitations répondant aux critères du Passiv'Haus. Ainsi, si le Passiv'Haus a 10 ans d'avance sur la RT 2012, il en avait en réalité plutôt 22 !

Le label certifie donc les logements dont les besoins énergétiques (chauffage, éclairage, ventilation, eau chaude, auxiliaires et équipements électrodomestiques) ne dépassent pas 120 kWh/m2/an (consommation d'énergie primaire), ce qui correspond en énergie finale à 46 kWh/m2/an. A titre de comparaison, la RT 2012 définit un seuil de 50 kWh/m2/an (en énergie primaire) en ce qui concerne les logements neufs, mais qui ne comprend pas les équipements électrodomestiques (réfrigérateur, lave-linge, lave-vaisselle, ordinateurs, etc.) qui peuvent représenter plus d'un tiers de la consommation totale. En réalité, le Passiv'Haus se distingue principalement par deux aspects :
  • La faible consommation d'énergie utile allouée au seul chauffage ne doit pas dépasser 15 kWh/m2/an ;
  • Le logement doit nécessairement posséder une étanchéité inférieure à 0,6 vol/h (n50).
Le génie allemand de la normalisation

En 2010, le nombre de structures certifiées Passiv'Haus dépassait ainsi les 25 000 unités, principalement en Allemagne et en Scandinavie. Mais le concept ne se limite pas à ces seules contrées. Grâce à une adaptation de la norme, les critères de certifications évoluent (légèrement) selon les différents climats, et le Passiv'Haus Institut a essaimé des structures équivalentes dans des pays comme le Royaume-Uni, le Canada, la Belgique ou encore les Etats-Unis. Une plateforme d'information, judicieusement appelée Passipedia, apparaît d'ailleurs comme un centre d'information de référence sur la question des maisons passives. Concept très marqué géographiquement, presque limité aux pays nordiques, la certification Passiv'Haus a vocation à devenir une norme internationale et, à minima, une norme européenne.

Cette façon de créer "la" norme n'est pas sans rappeler le "coup" de l'Allemagne dans le domaine des prises de rechargement pour les véhicules électriques. Cette dernière a su parfaitement manoeuvrer pour imposer son propre standard au niveau européen, via un lobbying efficace, mais surtout grâce à la mobilisation de tous les acteurs, au niveau politique (orientation claire, dispositifs de subventions, réglementation adaptée) et industriel (intégration et collaboration des grandes entreprises du secteur automobile et énergétique), permettant d'éprouver le modèle sur le plan national. Le génie dans cette affaire a été de faire le choix d'une prise déjà adaptée à l'ensemble des bornes européennes existantes, plutôt que se limiter à la prise française, plus sûre mais limitée au seul Hexagone.

Les parallèles avec la question de la maison passive sont ici nombreux. Là encore, une législation et une orientation politique favorables ont entraîné le développement d'un modèle aujourd'hui éprouvé, auquel se sont joints les industriels du secteur. La liste des entreprises partenaires du Passivhaus Trust (équivalent anglais du Passiv'Haus Institut) est en ce sens impressionnante, faisant d'ailleurs la part belle à des sociétés germaniques et nordiques comme Knauf Insulation, Rockwool, Advantage Austria, Glatthaar Fertigkeller et bien d'autres encore. La collaboration a aussi abouti à la création et la promotion de produits spécifiques, comme les fenêtres triple vitrage ou les systèmes de ventilation double-flux, ainsi qu'à la publication d'un catalogue de produits certifiés Passiv'Haus. Le génie allemand de la normalisation, c'est d'en faire un outil de développement économique. Ici, le Passiv'Haus tire l'ensemble de la filière germanique de l'habitat passif vers le haut.

Une norme déjà dépassée ?

Malgré la rationalité et l'efficacité toute germanique du concept, le Passiv'Haus peine à percer en France avec seulement 200 bâtiments certifiés. L'équivalent français du Passiv'Haus Institut n'a été créé qu'en 2007, et le site de l'association est loin d'être suffisamment exhaustif et professionnel (surtout lorsque l'on constate que le dernier ajout en date du 1er janvier 2015 !). Il existe en effet un certain nombre de critiques fondées à l'égard de cette norme :
  • Le surcoût des installations nécessaires (fenêtre triple vitrage par exemple) pour remplir les critères (à pondérer par rapport aux autres normes, probablement aussi coûteuses, et par rapport aux économies d'énergie réalisées) ;
  • L'importance de l'étanchéité qui peut être réduite à néant si les utilisateurs de la structure conservent de mauvaises habitudes ;
  • La rigidité du système qui peut nuire à l'esthétique générale (nombre et taille très limités de fenêtres exposées nord, forme très classique pour faciliter la gestion énergétique) ou à son efficacité, très réduite voire nulle dans des climats plus chauds, comme en Méditerranée ;
  • L'absence de contrôle quant à l'écoconditionalité des produits utilisés ;
  • Et enfin, la norme Passiv'Haus n'est destinée qu'aux bâtiments neufs, alors que c'est sur les bâtiments anciens que la lutte pour l'efficacité énergétique doit porter.
L'argument massue du Passiv'Haus en France se résume en 2014 à "Préparez la RT 2020, passez à la maison passive", ce qui, au regard des investissements à réaliser aujourd'hui pour être aux normes, n'est pas si coûteux. Cependant, au moment où les premiers bâtiments Bepos, à énergie positive, sont enfin sortis de terre, la justification perd de sa puissance. L'idée du bâtiment passif n'est-elle pas déjà dépassée, alors qu'un premier salon Passibat devrait être organisé au Parc Floral de Paris le 25 et 26 novembre 2014 ? Il n'y a pas de réponses évidentes à apporter, mais l'enseignement du Passiv'Haus tient sûrement dans la capacité des Allemands à faire coïncider les intérêts économiques de toute une filière vers un objectif durable, plutôt qu'à utiliser de lourds moyens réglementaires et légaux. Dans la guerre des labels, comme dans beaucoup de conflits d'ailleurs, il semble que l'Allemagne ait (eu) encore une fois un temps d'avance !

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2 commentaires:

  1. Merci pour votre article, pour votre éclairage et félicitations pour votre blog !

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  2. La maison passive n'est pas prête de sortir en France, étant donné les réticences sur la RT2012, alors pour le passif...

    Bel article édifiant en effet !

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