mercredi 23 juillet 2014

Casques jaunes et apprentissage à la française

 
Le mouvement des casques jaunes surprend par son ampleur (source : www.casques-jaunes.fr)


Il y a quelques semaines le CCCA-BTP, premier réseau d'apprentissage dans le secteur du BTP, lançait une campagne de communication afin de promouvoir sa filière et surtout l'immense vivier de jeunes qui la composent. Le réseau, qui regroupe quelques 103 centres de formation et d’apprentissage (CFA), cherche ainsi à redynamiser une filière ainsi qu'une méthode de formation encore trop mal perçue en France. 

Maçon, menuisier, peintre, électricien, chauffagiste… Le secteur du BTP est aujourd'hui un géant qui regroupe plus d'une centaine de professions différentes. Selon les chiffres publiés sur l'observatoire du BTP, il regroupe 519 140 entreprises et fait vivre plus d'1,3 million de personnes en France. Problème : les entreprises ont actuellement du mal à faire une place aux apprentis. Et pour cause : 62% des entreprises n'ont pas de salariés, et 94% en comptent moins de 10. Or, dans les TPE bien plus qu'ailleurs, un nouveau salarié est avant tout perçu comme un risque, comme le rappelle Christophe Legardinier, artisan plombier : « Si l'apprenti n'est pas motivé, il peut devenir une charge pour l'entreprise. Et il n'y a aucun moyen d'être sûr à 100%, au moment de l'embauche, que l'apprenti sera bon ».

Le problème est donc le suivant. Alors que les prévisions à moyen terme sont plutôt pessimistes, l'apprentissage se retrouve en grandes difficultés : au-delà des mauvaises perspectives, l'image qu'ont les employeurs des apprentis est problématique, poussant ces derniers à se mobiliser pour faire entendre leur voix. 

« Nous croyons en l'avenir du BTP. A vous de croire en nous ».

Le 16 juin au soir apparait, dans l'anonymat général, une curieuse annonce sur leboncoin.fr : ccca-btp met en vente 20 000 casques jaunes. Sous ces casques, la description promet « 20 000 jeunes, volontaires et motivés ». Le lendemain, une campagne très axée sur les réseaux sociaux est lancée : le compte Twitter du ccca-btp, inactif depuis avril 2012, poste plusieurs centaines de tweets dans lesquels il prend le soin d'interpeller des politiques (Ségolène Royal, François Baroin, Sylvia Pinel…), des entreprises (Bouygues, Eurovia, Bâtiment Ouest…) et de faire la promotion d'un site internet tout juste mis en ligne et dédié à son mouvement.

Sur ce site, extrêmement sobre, une vidéo d'une minute trente (excellente d'ailleurs) explique la raison d'être du mouvement. Chaque année 20 000 jeunes de la filière du BTP choisissent l'apprentissage pour se former, mais il est de plus en plus difficile de trouver une entreprise. Or, comme le rappelle un des protagonistes, « si demain il n'y a pas de jeune, le métier s'arrête ». Face à la frilosité des professionnels du secteur, le mouvement cherche en fait à les rassurer en mettant en avant le dynamisme et la motivation des jeunes.



Vidéo : le mouvement des casques jaunes

Le site ne se compose que de quelques pages, le rendant ainsi très fonctionnel. Quatre rubriques existent et apparaissent clairement sur la page d'accueil : l'une présente le mouvement (promouvoir l'apprentissage BTP donc), une autre le manifeste (« nous sommes jeunes, motivés… »), tandis que les deux autres donnent accès à des formulaires, soit pour trouver un CFA, soit pour recruter un apprenti.

Ce mouvement est particulièrement intéressant car il se détache des manifestations habituelles. En effet, le message s'adresse directement aux professionnels et il n'est nulle part question de revendications politiques. La première cible des casques jaunes sont les employeurs, en témoigne d'ailleurs leur slogan : « nous croyons en l'avenir du BTP. A vous de croire en nous ». Néanmoins, il est évident qu'exposer ainsi la thématique de l'apprentissage permet de créer des débats annexes, voire d'appuyer les demandes des organisations patronales. L'annonce faite par Manuel Valls de débloquer 200 millions d’euros pour l'apprentissage, le 8 juillet dernier, est donc une belle victoire pour la cause des apprentis. 

Les casques jaunes : un mouvement bien orchestré

Sémantiquement, ce nom de « casques jaunes » n'est pas sans rappeler le mouvement des bonnets rouges, mais l'aspect web-techno/soulèvement spontané rappelle plutôt celui des pigeons, qui avait fédéré les entrepreneurs en septembre 2012. Il est cependant intéressant de s'attarder sur le côté dit « spontané », pour s'apercevoir que le mouvement ressemble plutôt à une opération bien calculée.

Plusieurs indices permettent de se rendre compte de la logistique mise en place derrière ce génial coup de pub pour l'apprentissage. Tout d'abord, un rapide coup d'œil dans la rubrique ‘mentions légales’ permet de constater que les casques jaunes ont fait appel à un photographe professionnel (Bernard Charpenet), une agence de webdesign (agence Thalamus), et enfin une autre agence pour développer le site (agence Menschhh). Les « 20 000 jeunes motivés » sont donc bien encadrés.

Quant au nom de domaine du site internet, il a été déposé le 7 mai 2014. Sachant que la campagne de communication a débuté le 17 juin, le CCCA-BTP a donc eu six semaines au minimum pour préparer le buzz. Ces six semaines ont notamment permis de créer du contenu et de préparer des actions.

Cette création de contenu se traduit notamment par la réalisation de plusieurs vidéos postées sur la chaîne YouTube 3cabtp. On peut y voir des élèves ou des professeurs de CFA de la France entière apporter leur soutien au mouvement, ainsi que des interviews, de professionnels comme d'apprentis. Le buzz internet passe également par Twitter : comme expliqué précédemment, plusieurs centaines de tweets sont adressés aux hommes et femmes politiques ainsi qu'aux professionnels du secteur, bien ciblés, ce qui traduit là encore une certaine préparation.

De même, il est intéressant de relever tous les happenings organisés partout en France le 18 juin : place de la Concorde, Champs-de-Mars, Loir-et-Cher, Châteauroux, Lille, Avignon… Partout, des étudiants et professeurs de CFA se munissent de casques jaunes, se réunissent autour de grandes bâches floquées du slogan, prennent des photos et les publient sur les réseaux sociaux. Ces actions conjointement menées réussissent à démontrer l'élan national derrière ce mouvement.

Côté buzz, le mouvement est une réussite, puisque les journaux de TF1 et de France 3 leur consacrent un reportage. Cependant, il ne s'agit que d'une première victoire : les casques jaunes ont réussi à se faire entendre, reste à savoir si cela se traduira en termes d'embauches. Deuxièmement, le problème dépasse le simple cadre de la problématique du BTP et touche à la perception que les Français se font des apprentis.

La perception française de l'apprentissage : le problème de fond

Autrefois, un métier s'apprenait sur le tas. Un apprenti était chargé d'assister un professionnel qui, en retour, lui inculquait son savoir-faire avec l'optique de pouvoir l'embaucher. Avec la démocratisation des études, le diplôme est devenu, dans l'imaginaire collectif français, la sacro-sainte garantie de la qualification d'une personne à réaliser une tâche. Cette sacralisation du diplôme est allée de pair avec le dénigrement des filières d’apprentissage. Ce dénigrement s'accompagne également de l'idée selon laquelle le baccalauréat constitue la voie « normale » et que les autres résultent d'échecs scolaires.

La comparaison avec le modèle de notre voisin allemand témoigne bien de ce problème de perception. En effet, en Allemagne, « l'apprentissage est considéré comme l'espace légitime de qualification », comme l'explique Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique, dans le Figaro. La logique même est d'ailleurs totalement différente là-bas puisque le jeune s’adresse d'abord à une entreprise qui, si elle le juge nécessaire, le redirigera vers un établissement scolaire. Le fait même de mettre l'entreprise au cœur du projet et comme premier interlocuteur participe donc déjà à tester la motivation des futurs apprentis. En France, le fait d'accepter un étudiant dans un établissement puis de le pousser à trouver une entreprise renvoie déjà une connotation négative, comme s'il fallait à tout prix « caser » l'apprenti. 

L'autre grande différence réside également dans la place accordée à l'apprentissage et, plus généralement, à la responsabilité sociale de l'entreprise. Outre Rhin, l'article 14 de la loi fondamentale indique que chaque entreprise « doit contribuer au bien-être de la collectivité ». Ainsi, il est donc inscrit dans le patrimoine culturel allemand qu'une entreprise a un devoir vis-à-vis des autres, et notamment des plus jeunes. En plus de cet aspect moral, l'entreprise allemande n'a pas cette impression d’y perdre au change car elle profite plus longtemps de son apprenti. En France, ce type de formation ne dure qu’un an et demi. Si on enlève le temps que l'apprenti soit bien formé, l'entreprise n'en profite pleinement que peu de temps. En Allemagne, l'apprentissage dure trois ans, permettant au jeune d'être formé de manière plus efficace et d'accroitre son sentiment d'appartenance à l'entreprise, tandis que l'employeur dispose pendant plus longtemps d'un ouvrier opérationnel. Preuve de la différence entre les deux pays, la France compte aujourd'hui 400 000 apprentis contre 1,5 million chez nos voisins.

Avec cette campagne de communication, les casques jaunes ont le mérite de faire remonter le problème de fond qui agite le secteur de l'apprentissage tout en démontrant leur motivation. Reste à savoir si d'autres initiatives ou mesures incitatives viendront encourager les entreprises et augmenter le nombre de contrats d'apprentissage. Sans oublier que le principal enjeu reste le changement de mentalité et la prise de conscience de l'importance de la formation des jeunes. Ce qui ne se réalise pas en un jour...

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ps : il faut noter que l'OPECST, dans son dernier rapport, traite de la question de l'apprentissage en lien avec la performance énergétique des bâtiments (recommandations 15 et 16). En effet, sénateurs et députés veulent renforcer la formation, dans les lycées professionnels mais aussi à l'université où serait créée une nouvelle filière. 


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