jeudi 22 janvier 2015

Petites annonces immobilières : la bataille des anciens et des modernes

Internet bouscule la profession : l'exemple des petites annonces (source : radin.com)

Sommes-nous vraiment tombés aussi bas ? Alors que le BTP et l’immobilier s’enferrent toujours dans le marasme, deux députés du groupe socialiste ont eu la bonne idée de proposer un encadrement stricte des transactions immobilières sous prétexte que deux adultes – un vendeur et un acheteur – sains d’esprit, s’ils faisaient affaire sans passer par un professionnel, risqueraient de fragiliser la base fiscale sur laquelle est assis l’Etat. Retour sur une histoire « abracadabrantesque », qui révèle des enjeux plus divers qu’il n’y paraît.

En effet, au-delà de s’interroger sur le fonctionnement du monde politique et sur son appétence pour l’économie, il est intéressant d’analyser le débat qui existe au sein de la profession des agents immobiliers. Celle-ci a-t-elle réellement compris dans quel monde nous vivions ?

Deux génies incompris ou le coup des lobbies ?

A l’Assemblée nationale, le 21 octobre 2014, la députée PS Sylviane Bulteau avance, dans une question aux Ministères des Finances et de l’Economie, que les sites d’annonces immobilières gratuites exercent une concurrence déloyale envers les professionnels. Pis, l’Etat en est également victime puisque celui-ci ne peut percevoir divers impôts et taxes assujettis à la transaction. Et de cibler sans le nommer le site bien connu Le Bon Coin (mais il ne faudrait pas oublier « de Particulier à Particulier », véritable institution de la profession). Selon la députée, « le principal site internet d’annonces gratuites en France, accessible sans inscription préalable, propose environ 260 000 annonces. Si l’on considère une somme moyenne de 6 000 euros HT sur ces transactions, à laquelle on applique 20 % de TVA, on obtient 312 millions d’euros environ de manque à gagner pour l’Etat ». Et de demander la position du gouvernement à ce sujet et s’il compte légiférer.

Les jours qui suivent sont marqués par un certain émoi dans la profession mais également chez des députés de l’opposition. Mais que dire quand, une semaine plus tard, Jacques Cresta, lui aussi député PS, pose mot pour mot la même question ? Peut-être le gouvernement avait-il mal entendu la première fois ?

Il n’en faut pas plus pour y voir un coup des lobbies. Tonino Serafini, spécialiste logement à Libération, démonte un à un les arguments avancés. Alors que les députés, en ces temps de disette budgétaire, pensaient avoir trouvé l’angle adéquat en avançant les moindres rentrées fiscales pour l’Etat dans le cas d’une vente directe, l’expert interrogé par le journaliste ironise sur la bêtise de la proposition : et pourquoi ne pas passer par un professionnel pour toutes les choses de la vie ?

Et Tonino Serafini de rappeler le lobbying de certains professionnels pour que l’Etat rende obligatoire l’utilisation de leurs services pour chaque transaction. Le rôle de CapiFrance est ainsi mis en lumière, le réseau immobilier ayant publié un communiqué mi-décembre à ce sujet. Pourtant, celui-ci apparaît plus mesuré qu’il n’y paraît. Ainsi, la question des deux députés a surtout le grand intérêt de montrer les conséquences de la révolution numérique pour la profession et le comportement des entreprises et des politiques.

Une profession mal à l’aise avec le numérique

Il est un fait : les nouveaux acteurs du numérique (Le Bon coin dans le cas présent) ont su mettre la main sur un élément de la chaîne de valeur de l’immobilier, précisément le travail réalisé par les agences immobilières. Celles-ci jouent en effet le rôle de négociant entre l’acheteur et le vendeur, centralisant les informations stratégiques pour l’un et l’autre au sujet du bien à vendre.

Ces sites d’annonces immobilières sur Internet saperaient donc l’activité des acteurs historiques. Pas si sûr. Effectivement, comme généralement avec le numérique, le fournisseur de l’information (ici les agences) est dans une relation ambivalente avec la plateforme. Il fournit une grande partie des annonces (75% des annonces sur Le Bon Coin sont le fait d’agences)… mais doit en plus payer pour s’y retrouver. Or, s’il ne le fait pas, d’autres concurrents le feront. Sans oublier que son référencement Internet sera fragilisé. A l’heure où quelques sites monopolisent l’attention au quotidien (Facebook, Le Bon Coin…), un vendeur ne peut se permettre non seulement de ne pas y être, mais surtout de ne pas y avoir une visibilité maximale.

D’où l’idée des principaux réseaux de créer leur propre site et de centraliser les annonces. Bref, de se fédérer contre la nouvelle menace que sont les acteurs du numérique. Laurent Vimont, PDG de Century21 harangue d’ailleurs la profession : « il est temps de prendre notre destin en main ». Toutefois, cela doit s’accompagner d’une révolution des mentalités : allez expliquer aux différents protagonistes qu’il faut dorénavant travailler ensemble sur certains éléments de la chaîne de valeur alors que l’habitude était à la concurrence acharnée. Allez expliquer aux agences que ce qu’elles faisaient au sein du syndicat professionnel à l’encontre des politiques (s’opposer ou phagocyter certaines lois) doit dorénavant se prolonger dans l’environnement commercial. Les sites d’annonces online jouent d’ailleurs là-dessus : l’atomisation des acteurs pour rafler la mise. Autre écueil : la coopération des agences risquent de mettre en exergue les pratiques de chacun mais surtout de donner une visibilité de ces usages aux consommateurs. Or, ce début de transparence risque d’entacher la réputation de certains acteurs historiques.

Le monopole ou la liberté : la bataille des anciens et des modernes

L’émergence d’acteurs 100% Internet dynamite des secteurs dont l’intensité concurrentielle est peu élevée. On le voit avec les taxis. Cela s’apparente à une libéralisation à marche forcée, provoquée par les évolutions technologiques. Or, comme souvent, la législation a du mal à suivre… tout comme les acteurs historiques bercés de leurs habitudes.

La légitimité des revendications pour protéger la profession se brise sur les évolutions d’un monde immatériel, connectant de plus en plus de personnes, à toute heure et en tout lieu. Pourtant, à regarder de plus près, la prise de position de Philippe Buyens, directeur général délégué de CapiFrance, pourrait paraitre mesurée et pertinente. En effet, celui-ci prend pleinement conscience des conséquences de l’arrivée des acteurs du numérique et de la nécessité, non pas de contrôler les relations nouées entre vendeurs et acheteurs, mais de renforcer les services et expertises apportés par l’agent immobilier. En clair, celui-ci devrait avoir un statut aussi déterminant que celui du notaire – et donc un monopole – afin de minimiser les contentieux, de fluidifier les transactions et, plus globalement, de renforcer la confiance et la qualité des prestations proposées.

Toutefois, cette analyse semble passéiste. En effet, les évolutions sont bien comprises mais les pistes pour remédier aux impacts négatifs (sous-entendus, pour la profession) restent anciennes : l’appel à l’Etat pour légiférer dans le sens de plus de protection. A l’inverse, la lecture de la tribune de Jean-François Buet a le mérite d’être clair et de poser le débat entre les anciens et les modernes chez les agents immobiliers.

Le président de la FNAIM part d’un constat : seule une vente sur deux environ se fait sans le concours d’un mandataire. Ce qui s’apparente à un manque de confiance de la part des Français. Les professionnels devraient donc s’interroger là-dessus tout en avançant que les solutions ne passeront pas par les pouvoirs publics. Bref, un monopole sur les transactions immobilières ne signifiera pas une amélioration de la situation.

Ainsi, il existe une bataille « philosophique » entre les propositions de Philippe Buyens, intéressantes mais catégorielles, et celles de Jean-François Buet, qui font la part belle à l’introspection de la profession. Ce dernier est alors très explicite sur la question des députés « Faut-il la soutenir ? Au risque de choquer, je ne le pense pas. Derrière une intention dans laquelle je vois un hommage rare au rôle des agents immobiliers, je discerne des pièges et un embarras ». En effet, l’idée d’obligation passe mal. Est-ce bon pour l’image de la profession ? Cela renforce-t-il la confiance des acheteurs et vendeurs dans celle-ci ?

Selon lui, l’arrivée des sites Internet d’annonces immobilières favorise certes les ventes en direct mais cela ne fait pas pour autant disparaitre la profession. En clair, Internet est une opportunité pour ne pas mollir. « L’organisation actuelle de nos activités, qui fait la part belle à la liberté des professionnels et de leurs clients, favorise la diversité. Sur une base commune d’obligations, les agents immobiliers ajoutent la valeur qu’ils estiment pertinente, pour le prix qu’ils jugent opportun. C’est grâce à cette différenciation que le consommateur procède à sa sélection ». Un vrai choc des cultures au sein du secteur et un exemple à méditer pour notre pays.

Le principe de réalité, vite !

Et les politiques dans tout ça ? La révolution numérique impacte les comportements de chacun. Mais à la lecture des griefs des deux députés, on peut se demander s’ils en ont bien saisi tous les enjeux. Bien sûr, en remettant en question nos habitudes, de consommation par exemple, la révolution numérique nous oblige à redéfinir certaines pratiques de nos politiques publiques (ici la fiscalité). Toutefois, dans le cas des ventes immobilières directes, Internet ne fait que renforcer l’échange d’information et en aucun cas ne créé un nouveau mode de consommation. Les annonces, qui hier étaient sur papier, sont dorénavant dématérialisées. Ce n’est pas comme dans le cas d’Amazon où l’arrivée d’un nouvel acteur s’appuyant sur Internet sape les activités des libraires « en dur » via des acrobaties comptables.

Au-delà de cette incompréhension sur l’impact du numérique sur les transactions immobilières, il y a aussi la grille de lecture de nos politiques (en tout cas, un grand nombre) vis-à-vis de l’économie et des entreprises : tout doit être contrôlé, mesuré et taxé. Pourtant, la simplification devait être le leitmotiv du gouvernement ?

Pour finir, au-delà de la profession, l’affaire de la « double question » met une nouvelle fois en lumière les pratiques de certains acteurs en termes de lobbying. Cela les décrédibilise, tout comme les députés pointés du doigt. A croire que les mauvaises pratiques ont la vie dure. Jusqu’à quand ?

Nous suivre sur Twitter : @Bati2030

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !