jeudi 19 mars 2015

La contrefaçon dans le BTP : un phénomène méconnu mais dévastateur... et peu combattu

La contrefaçon, une nouvelle plaie pour le BTP (source : carrement-artisans.fr)

La contrefaçon est un mal connu même s’il est difficile d’en estimer les effets. D’après une estimation de l’Organisation de coopération et de développement économiques, la contrefaçon génèrerait 250 milliards de dollars de revenus criminels par an. Elle représente ainsi 10% du commerce international contre 5% en 2000, selon le Comité national anti-contrefaçon. Pour la France, elle entraîne un manque à gagner de 6 milliards d’euros de recettes fiscales. Chiffre effrayant… alors que le phénomène a du mal à être évalué.

Que vient faire le BTP là-dedans ? En fait, on pense souvent que la contrefaçon touche principalement les secteurs grand public comme les produits pharmaceutiques, le luxe, l’habillement… Mais pas le BTP. Et pourtant ! La crise a mis en exergue ce mal insidieux, certains s’en servant comme levier afin de sauvegarder leurs marges et/ou gagner des marchés. Les donneurs d’ordre, indirectement, sont également en cause. Retour sur une problématique qui va crescendo… et dont nous n’avons pas encore pris la pleine mesure. 

La contrefaçon dans le BTP 


  • Tromper l’acheteur sur sa qualité, ses performances techniques attendues et/ou son origine, avec pour conséquence principale un risque de porter atteinte à la sécurité et à la santé du compagnon ou de l’utilisateur final ;
  • Utiliser abusivement des marquages d’excellence et/ou de conformité (NF, CE, UL...) ;
  • Etre accompagné de certificats de conformité et/ou d’origine falsifiés et/ou contrefaits ;
  • Attenter à l’intérêt des titulaires de droits en matière de propriété intellectuelle et industrielle.

En 2008, dans le BTP, le chiffre d’affaires du marché de la contrefaçon était estimé à 3%. Mais le chiffre reste une supposition. Les matériaux contrefaits se retrouvent de plus en plus souvent sur le marché des équipements et, par extension, sur les chantiers. Que ce soit les outils ou les produits, provenant généralement d’Asie : équipements électriques (prises de courant, interrupteurs ou disjoncteurs), matériaux de construction (portes, isolants, vitrages, détecteurs de fumée), sans oublier l’outillage (postes à souder, tronçonneuses, compresseurs à air…) et les éléments de sécurité (chaussures, casques). Pour ne prendre qu’un exemple, les douanes ont saisi 122 000 contrefaçons de câbles électriques en janvier 2013, qui, au lieu d’être en cuivre, étaient composés d’alliage de fer.

Pour Legrand, entre 2006 et 2013, ce sont 400 000 petits disjoncteurs ainsi que 2 millions d’interrupteurs et prises de courant qui ont été saisis par les douanes. Par ailleurs, 1 000 pages Internet proposant de la vente de contrefaçons ont été fermées à la demande de l’entreprise. Dans la vidéo ci-dessous, on parle de 10% des disjoncteurs en France qui seraient contrefaits et qui donc, ne rempliraient pas/plus leur rôle. 

Test d'interrupteurs


Même si la contrefaçon en tant que phénomène est difficile à évaluer, cela l’est encore plus pour ses conséquences. Ainsi, en avril 2014, la FFB estime que si la contrefaçon de matériaux représente en France plus d’un milliard d’euros, elle est susceptible d’engendrer 10 milliards d’euros de sinistres à très moyen terme ! Toute la chaîne de valeur du bâtiment est impactée, en termes de sécurité, de risque pénal et civil, d’image, de conformité des produits ou de durée de vie des ouvrages.

De plus, la contrefaçon concerne également les engins de chantier. Ainsi, récemment, le fabricant de grues Terex Cranes a mis en garde ses clients – et les professionnels en général – contre ce phénomène. Des versions contrefaites des grues sur chenilles Terex ont été identifiées en Corée du Sud. 

Comment expliquer ce phénomène ?

Bien sûr, la contrefaçon renvoie avant tout à des schémas mafieux, c’est-à-dire à des réseaux organisés qui fabriquent des produits contrefaits et qui les écoulent. Ainsi, avec Internet et le développement fulgurant du e-commerce, il est très facile d’être en relation avec des grossistes, certains voulant écouler des produits contrefaits. Mais « l’offre » ne doit pas faire oublier le côté « demande ». Il y a donc des personnes ou des entreprises dans le BTP qui souhaitent acheter des produits contrefaits : ne nous le cachons pas. Ainsi, la crise pousse certains à user de la contrefaçon afin de sauvegarder leurs marges… au détriment de la sécurité.

Certes, il y a des cas où la personne ou l’entreprise se fait duper : soit par mégarde, soit par le « talent » du vendeur. Pourtant, il est facile de s’en rendre compte, pas seulement grâce à un œil averti (marquage technique, normes…) mais aussi via des signaux aisément identifiables, à l’image du prix du produit contrefait, anormalement bas par rapport aux produits « normaux ». Toutefois, certains appels d’offre sont remportés par des groupements promettant un prix imbattable de la prestation : en ayant recours aux produits contrefaits en plus du travail détaché ? De plus, qui est fautif ? Le groupement ou le donneur d’ordre qui accepte ?

Aussi, la contrefaçon est à la fois une question de vigilance de la part des professionnels… et d’honnêteté. Et pour cela, la loi veille et a été renforcée.

Une prise de conscience ?

La contrefaçon est diversement appréhendée selon les pays et les secteurs d’activité. Pour ce qui est des pays, le sénateur Richard Yung, président du Comité national anti-contrefaçon depuis juillet 2013, rappelle bien les facteurs historiques et culturels qui induisent des perceptions différentes de la problématique : « l’Allemagne se distingue, en raison de son histoire industrielle ancienne, en matière de culture de la protection des brevets. La France est plus active sur le terrain des marques, car elle est soucieuse de protéger ses produits du luxe, son vin, ses appellations d’origine ».

Quant aux secteurs, autant ne pas se mentir : le BTP a du chemin à parcourir pour arriver au niveau de vigilance et d’efficacité dans la lutte que peuvent connaître les professionnels du luxe, de l’habillement ou de l’industrie pharmaceutique. La prise de conscience est récente et la contrefaçon n’est pas encore une problématique importante pour le secteur, à l’image du site de la FFB où il n’y a que quatre occurrences du terme contrefaçon.

Toutefois, les choses évoluent. Le dernier salon Batimat, en 2013, a dédiée une conférence à ce thème : « Trafics illicites de matériaux et d’équipements du BTP : comment les détecter et quelles précautions prendre ? » Le site de la Fédération française du bâtiment reprend certains propos entendus lors de ce salon et il est notable de constater que tous les corps de métier sont touchés : de l’architecte à l’entreprise d’électricité, en passant par le gros œuvre.

Devant cet état des lieux encore embryonnaire, la FFB et la fondation d’entreprise Excellence SMA décident de mener, en octobre 2014, une enquête nationale pour mesurer le phénomène et sensibiliser les acteurs. Ainsi, la situation est contrastée : 16 % des entrepreneurs s’estiment touchés directement ou indirectement par la contrefaçon, sans distinction de taille. Plus précisément, 10 % des entreprises de gros œuvre, 19 % de menuiserie-charpente, 31 % d’électricité et 75 % de couverture, plomberie, génie climatique. Or, les réponses à adopter face à ce fléau restent parcellaires.

Comment déjouer la contrefaçon ?

Selon l’enquête, 70 % des sondés considèrent qu’une politique d’achat sécurisée est le rempart le plus efficace pour éviter tout risque de contrefaçon : la fidélité vis-à-vis de leurs fournisseurs historiques est une garantie de fiabilité suffisante.

La réponse est certes honorable, elle n’en reste pas moins paradoxale. Il suffit d’écouter les griefs des acteurs du BTP à l’encontre de donneurs d’ordre qui veulent absolument des devis réduits, à l’encontre de cette concurrence généralisée et déloyale, notamment en provenance des travailleurs détachés, etc. La période est marquée par la crise et beaucoup tentent de s’en sortir de manière frauduleuse. Certains avancent même un discours convenu : « on n’a pas le choix. D’autres le font. Pourquoi pas nous ». Et d’utiliser des produits contrefaits en toute connaissance de cause.

Se développent alors des réponses techniques. Par exemple, des marqueurs invisibles et uniques, qui sont incorporés aux produits et/ou matériaux pour lutter efficacement contre le vol et la contrefaçon. De même, et il faut souvent le rappeler, la pédagogie reste une solution efficace. Ainsi, la FFB Haute Savoie a mis en ligne deux quizz – plutôt réussis – sur le sujet. Au niveau national, le CNAC, plateforme informelle de rencontres créée en 1995 et placée sous l’égide du Ministre chargé de la propriété industrielle, réunit des acteurs publics (administrations) et privés (fédérations industrielles et artistiques, des associations professionnelles) concernés par le respect des droits de propriété intellectuelle (brevets, marques, dessins et modèles, indications géographiques, droits d’auteur, etc.) et la lutte contre la contrefaçon. Son rôle est de renforcer l’échange d’informations, faciliter le partage de bonnes pratiques, coordonner des actions concrètes (campagnes de sensibilisation, etc.) et formuler des propositions de réforme.

Pour finir, la lutte contre la contrefaçon est consolidée par la loi du 11 mars 2014. D’une part, la loi renforce les dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon. Ainsi, si les professionnels du BTP utilisent malgré eux des produits contrefaits et que ceux-ci mettent en danger la vie d’autrui, ils peuvent très bien être responsables… à la place du vendeur de produits de contrefaçon (qui plus est si celui-ci est à plusieurs milliers de kilomètres). Sans oublier l’utilisation de la garantie décennale contre le professionnel.

En outre, la procédure de saisie-contrefaçon applicable au droit d’auteur est alignée sur celle en vigueur en propriété intellectuelle. Ainsi, l’un des moyens de preuve de la contrefaçon les plus utilisés – et le plus efficace – est généralisé. Autrement dit : à quand une armada d’huissiers de justice sur les chantiers pour faire constater l’utilisation de produits contrefaits ?


La contrefaçon est donc un sujet important pour le BTP, qui peut le gangréner comme cela peut se produire dans le cas de l’habillement ou les produits pharmaceutiques. Les professionnels n’en ont qu’une vague idée pour le moment et, à l’image des travailleurs détachés, certains en profitent en toute conscience. Le réveil sera rude. Mais le plus tôt sera le mieux.

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